« 1336, parole de Fralibs », de Philippe Durand, Théâtre de Belleville à Paris

« 1336 (parole de Fralibs)» de et avec Philippe Durand © Stéphane Burlot

L’épopée au coin de l’usine

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Avec « 1336 (parole de Fralibs) », Philippe Durand fait résonner les voix des Fralibs et nous conte leurs combats. Épopée mettant aux prises des hommes face à un éléphant capitaliste, feuilleton palpitant et inachevé, le spectacle est à l’image de ses protagonistes profondément humain et généreux.

Dans l’Hémicycle, dans les fauteuils des grands théâtres et sur leurs scènes, où sont les gens ordinaires ? Quand peut-on les entendre ? C’est sans doute à ces questions que répondent les deux dernières créations de Philippe Durand, puisqu’il y prête sa voix à ses concitoyens, dans Paroles de Stéphanois, et aujourd’hui à des ouvriers qui luttent pour leur travail et leur dignité, dans 1336.

Pour faire entendre ces voix, Philippe Durand opte pour un dispositif simple : pas de décor, pas de jeux de lumière, presque pas de déplacements. Il ne s’agit pas ici de « faire spectacle » mais de poser les conditions d’une bonne représentation (au sens politique aussi). Nous sommes ainsi au plus près de l’interprète, comme prêts à prendre la parole à notre tour. De même, la façon qu’a l’interprète de se référer au manuscrit de la pièce s’apparente à un geste éthique : elle rappelle que les véritables auteurs du texte sont les ouvriers.

La geste d’Olivier, Gérard et tous les autres

Et pourtant, la représentation est palpitante. Véritable rhapsode, Philippe Durand nous fait vivre une épopée digne de La Thébaïde ou de La Chanson de Roland. Voici un ouvrier prêt à mourir tel un héros pour garder la porte de l’usine. Voici l’ennemi qui avance son cheval de Troie : des primes qui doivent diviser. Il y a encore les combats collectifs face à des patrons qui ont le temps d’affamer et de braver les tribunaux.

Mais si l’épopée a généralement un visage grave et lointain, l’histoire qui nous est contée sur la scène du Théâtre de Belleville s’avère au contraire familière et profondément humaine. On y reconnaît son voisin, on aimerait en rencontrer les protagonistes. On s’insurge, mais on rit aussi. C’est que Philippe Durand trouve l’accent de Gémenos ou du Havre pour nous restituer sans caricature la verve de ces interlocuteurs. La vie de la pièce tient aussi dans la vivacité de leurs mots et de leurs pensées. Le rhapsode antique se disait « enthousiaste », c’est-à-dire, étymologiquement, investi par un dieu ; l’acteur est ici comme habité par la parole des Fralibs. Quand ses yeux brillent, quand il se met à sourire, on voit les sourires des hommes qui ont témoigné.

Cet enthousiasme est contagieux. Il donne confiance, il permet de faire reculer les lignes du possible, car si les Fralibs vivent encore, c’est que nous pouvons refuser de signer nos arrêts de mort, refuser d’être les chiens à la chaîne et opter pour la liberté et la fraternité des loups. C’est précieux. Par ailleurs, l’histoire des Fralibs n’est pas à ce jour achevée. Les épisodes s’en écrivent tous les jours, et l’on aurait envie que le feuilleton conté par Philippe Durand ne s’achève pas. Un moment fort et humain, d’abord. 

Laura Plas


1336 (parole de Fralibs) de Philippe Durand

Le texte est édité aux Éditions D’ores et déjà

Une histoire racontée par Philippe Durand

Durée : 1 h 35

À partir de 15 ans

Extrait

Photo © Stéphane Burlot

Théâtre de Belleville • 94, rue du Faubourg-du-Temple • 75011 Paris

Du 7 mars au 31 mai 2018, du mardi au samedi à 21 h 15, le dimanche à 17 heures, puis en tournée

De 10 € à 25 €

Réservations : 01 48 06 72 34


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