34e festival du cirque actuel, à Auch

Festival-cirque-actuel © CIRCa

La planète cirque tourne bien rond à Auch !

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Voilà maintenant 34 ans que, chaque automne, la capitale gersoise s’habille aux couleurs du cirque actuel. Après une édition 2020 adaptée, mais qui a permis à ce « festival-filière » de malgré tout se tenir, le plaisir d’être ensemble est palpable. L’un des temps forts les plus renommés en Europe, dans ce secteur, le Festival CIRCa tient ses promesses.

Depuis le 21 octobre, de nombreux passionnés de cirque (artistes, professionnels, bénévoles, simples curieux, pratiquants et pédagogues) s’y sont effectivement donnés rendez-vous : « Se retrouver… Quel plaisir de vous accueillir à nouveau ! Le spectacle est bien vivant et nous sommes heureux de contribuer à faire découvrir un cirque, des cirques toujours plus inventifs et éclectiques » s’enthousiasmait, au lancement, sa directrice Stéphanie Bulteau.

Avec 23 spectacles professionnels et 12 d’écoles de cirque (Cnac, Esacto’Lido, Fédération Française des Écoles de Cirque, Fédération Européenne des Écoles de Cirque) présentés dans 15 lieux différents, la programmation est riche : « Sans parler véritablement de thématique, cette édition me semble être traversée par la notion d’humanité », précise-t-elle.

De nombreux rendez-vous sont proposés par ailleurs : CIRCLE, les présentations des écoles de cirque professionnelles européennes de la FEDEC (visionner Traces, une série de créations vidéos) ; les spectacles des écoles de cirque de la FFEC (Fédération française des écoles de cirque) ; la piste ouverte aux élèves de l’enseignement « arts du cirque » du Lycée du Garros ; les Scènes Ouvertes, espace d’expression libre pour les jeunes circassiens amateurs qui y présentent leurs numéros ; les rencontres avec les artistes animées par Jean-Michel Guy ; la rencontre thématique organisée par Territoires de cirque « Auteurs, autrices de cirque : où en êtes-vous, où en sommes-nous ? Enjeux de l’auctorialité dans le cirque » ; des concerts ; des expositions.

« C’est quoi ce cirque ? »

Le premier week-end de festival augure d’une belle édition. D’ailleurs, beaucoup de spectacles étaient à guichets fermés. Le cirque est souvent synonyme de prouesses. Sans renoncer aux défis, deux spectacles font pourtant l’éloge du fiasco. Conçue comme une « battle », A simple Space, un spectacle qui a déjà pas mal tourné (création en 2013), les acrobates australiens de Gravity & other Myths mettent en scène la faiblesse avec maestria, tandis que Der Lauf (Cirque du Bout du Monde, en partenariat avec les Vélocimanes Associés) laisse l’aléatoire prendre le dessus. Au programme : des exploits et ratés revigorants (lire notre focus 1).

Au-delà de la technique et des performances physiques, les artistes se racontent, dévoilent leurs parcours de vie et leurs combats pour surmonter les épreuves, comme M.E.M.M au Mauvais Endroit au Mauvais Moment d’Alice Barraud et Raphaël de Pressigny. Art vivant par excellence, le cirque pose la question de la mort de manière particulièrement aigüe, sans doute car le risque y prédomine. C’est le cas de Pandax (Cirque la Compagnie), qui réunit une fratrie autour de l’urne du père décédé, et de Time to tell, où, pour la première fois, Martin Palisse évoque sa maladie. David Gauchard a su capturer cette parole rare et donner à voir la mécanique de ses pensées, avec une force sans commune mesure.

080-Cie H.M.G © Sébastien Armengol
« 080 », de la Cie HMG © Sébastien Armengol

Heureusement, la vie n’est pas faite que de drames. Rapprochons-nous (La Mondiale générale) expose une tranche de vie. Une forme d’intimité chuchotée qui incite à nous donner du temps. En revanche, 080 (Jonathan Guichard) restitue le cycle de l’existence en à peine soixante minutes. Mais quelle heure ! Une vie de rebondissements, au propre comme au figuré, qui ne fait hélas pas tout à fait le tour de la question (lire notre focus 2).

Témoins de leur époque

Vecteurs de paroles, manifestes, tribunes, certains spectacles témoignent aussi de nos problèmes sociétaux et d’engagements divers.  Dans No Rest for Lady Dragon, la cie L’Indécente propose une fiction féministe, une charge électrisante contre l’oppression patriarcale. Dans un monde en proie à de si profonds bouleversements, la menace de l’effondrement stimule les imaginaires et délient les langues. Elle embrase les scènes. Avec sa scénographie impressionnante faite de trampolines, plateaux volants et agrès suspendus, les Hauts Plateaux en imposent. Mathurin Bolze n’a pas lésiné sur les moyens pour imaginer la réinvention collective du monde de demain. Il sort l’artillerie lourde plutôt que la planche de salut (lire notre critique), mais prouesses, qualités dramaturgiques et souffle épique nous galvanisent.

Moins spectaculaire, les Flyings se penche aussi sur le sujet de la catastrophe. Entre deux pontons, sortes de refuges, quelques quidams  hésitent, tergiversent puis se lancent. Une fois le vide franchi et les questions existentielles évacuées, la quête de liberté l’emporte. Mais Mélissa Von Vépy, qu’on a connue plus inspirée, fait trop évoluer les trapézistes au ras du sol. Le propos s’étiole dans un filet aux mailles distendues. L’ensemble est assez confus, trop bavard et emphatique.

The End is nigh ! par La Barque Acide, neuf artistes et presque autant de disciplines, distille, quant à lui, une atmosphère à la fois menaçante et absurde. Devant l’imminence de l’apocalypse, combien de temps allons-nous encore nous voiler la face ? Avec En attendant le grand soir, la cie Le doux supplice nous fait guincher sur des vagues. Attention ! Sur la piste de danse, la rencontre peut faire chavirer (lire la critique de Laura Plas). (Pl)ouf ! On embarque volontiers et sans filet.

Hors du temps

Par rapport à ces sujets, Chloé Moglia prend de la hauteur et… du temps. Cette artiste, dont nous apprécions la démarche (lire la critique  d’Aléas #3, par Léna Martinelli et celle d’Horizon, par Laura Plas), vient du trapèze et du sytema (art martial), deux disciplines qui ont forgé sa pratique de la suspension. Bleu tenace ne déroge pas à la règle, mais cette fois-ci elle fait évoluer une performeuse aérienne sur sa structure-sculpture. À noter que La Maison des Métallos lui confie la CoOp de novembre sur la société en transition : « À quoi sert d’accélérer dans un mode essoufflé ? Ralentir, c’est redonner du sens au temps, prêter attention à ce qui nous constitue ; c’est savoir suspendre quand il y a urgence à prendre la bonne direction. » Avec Chloé Moglia, on est décidément sur la bonne voie.

Vrai-cie-Sacékripa © Julien Vittecoq
« Vrai », de la cie Sacékripa © Julien Vittecoq

Dans cette programmation foisonnante, on trouve aussi des inclassables. Ainsi, en bousculant les notions de représentation et de performance, la cie Sacékripa signe-t-elle un ovni. Équipé d’un casque audio, assis sur des tabourets, le regard à hauteur du plancher, chacun observe la scène à travers une petite lucarne. Immergés dans une bulle sensorielle, nous sommes emportés par Vrai, conçu sur l’aléatoire et la surprise.

Parmi les indétrônables, Oraison, de Marie Molliens, reste en tête de liste de nos coups de cœur. La grâce sauvage et la poésie trouble font de ce moment à la fois spectaculaire et intime, un spectacle d’une saisissante beauté. Un cirque de chair et de corps traversé par des images à la fois délicates et grinçantes, inspirées de la figure ancestrale du cirque – le clown blanc – ici transfigurée en représentant d’une humanité blafarde.

Qu’il soit sous chapiteau, en salle ou dans l’espace public, le festival nous présente un beau panorama du cirque actuel, d’une grande diversité de formes et de styles. Tantôt intimistes ou spectaculaires, mono ou pluridisciplinaires, les spectacles témoignent de l’universalité de cet art populaire qui ne cesse de surprendre et rassembler. Oui, ça tourne bien rond à Auch. 

Léna Martinelli


34e festival du cirque actuel

Du 21 au 30 octobre 2021

CIRCa, pôle national Cirque Auch • Allée des Arts • 32000 Auch

Programmation complète ici

Rendez-vous ici

Billetterie : 05 62 61 65 00 • billetterie@circa.auch.fr

À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ 34e festival du cirque actuel, focus 1 : « A simple Space » et « Der Lauf », par Léna Martinelli

☛ 34e festival du cirque actuel, focus 2 : « MEMM Mauvais Endroit au Mauvais Moment », « Pandax »,  « Rapprochons-nous », « C’est pour toi que je fais ça », « 080 », par Léna Martinelli

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