La famille : matière à chanter, à sentir
Par Lise Facchin
Les Trois Coups
Un capharnaüm de chansons d’auteurs, du « théâtre en chansons » et ma famille pour thème : on pouvait se croire parti pour du comique troupier. Rien du tout ! Loin des stéréotypes de salle d’attente, c’est tout en finesse que le spectacle tisse la dentelle de cette étrange chose qu’est la famille.
On est un peu surpris, quand le spectacle commence : sur scène, il n’y a rien. Ah si… quatre cubes noirs sur une scène noire… Les comédiens entrent dans le noir et font un raffut du diable en chuchotant. Lumières ! La première chanson éclate, déjà drôle, parfaitement juste avec ses quatre voix, accompagnée par les deux guitares sèches de Philippe Gouin et de Ruben. Une énergie redoutable, une pulsation généreuse et précise, qui seront présentes durant toute la durée du spectacle, embarquent le spectateur dès les trois premières minutes. Et cette qualité, signe d’exigence, de sueur et de respect de son art, qui peut dire aujourd’hui qu’elle soit l’apanage de la majorité des spectacles ?
C’est le début, donc, un portrait général de la famille. Puis, ce sera toute son histoire, la rencontre, l’amour, l’enfant, la rupture, le retour, le second enfant, le frère et la sœur, l’adolescence, le départ du grand, la vieillesse qui s’installe… Les textes de chansons deviennent des répliques de théâtre, et c’est toujours juste, bien senti. Quant à la sélection, elle a toujours été faite avec une grande intelligence. Les grands auteurs n’étant pas toujours présents avec leurs plus grands succès, on les redécouvre. Différemment. Sans imitation.
Dans le contexte de l’histoire qui se tisse sans heurts, Les Fatals Picards ont autant de sens et profondeur que Michel Polnareff ou Claude Nougaro, ce qui, soit dit en passant, est une prouesse. L’ancien et le moderne se côtoient, Brassens se balade aux côtés de David Sire, chanteur vagabond qu’on a pu voir récemment au Limonaire, petit cabaret mais haut lieu de la chanson à Paris. C’est dire si ces gens-là l’aiment, la chanson.
Comédiens-chanteurs talentueux et investis
Aimer, cependant, n’a jamais suffi à faire ni une belle aventure ni un bon spectacle. Ici, c’est aussi le travail d’un groupe de comédiens-chanteurs talentueux et investis jusqu’à la racine des cheveux. Quand Philippe Gouin, au côté de Ruben assis en tailleur sur un cube, interprète le Petit Garçon de Reggiani, non seulement on est convaincu depuis longtemps que ce grand gaillard aux larges épaules est un gamin de cinq ans, mais de surcroît, les larmes ne nous restent pas sous les paupières. Et les moments bouleversants, on a tous dans nos histoires de quoi en piocher, et les chansons sont des ricochets qui font forcément mouche à un moment ou un autre.
De même, l’adolescente insupportable qui deviendra jeune femme, interprétée par Stéphanie Cavaillès (en alternance avec Camille Voitellier), fraîche et éclatante, nous offre un moment de fou rire avec le Blues de l’ado. Mais elle sait devenir plus profonde, avec sa voix de soprano bien posée, en duo avec Mariline Gourdon, dans Ma fille de Serge Reggiani. Quant à Mariline Gourdon, elle déborde d’humour et d’énergie et campe une très jolie maman des années soixante‑dix.
Que ce soit cette merveilleuse chanson d’amour d’un frère à sa sœur (et inversement) de David Sire, le Zoo, ou encore l’Histoire des roses de Robert Lamoureux, l’insolence de Jacques Dutronc et le kitsch de Richard Anthony, la scénographie, les grimaces ou les acteurs, tout dans ce spectacle est à sa place. Et tout le monde rit ou pleure, et c’est ce qu’il y a de plus magique, à des moments différents, pour des raisons qui sont les siennes. Une catharsis incroyable dans laquelle chacun fait son album de famille, avec le beau, le drôle, le douloureux et l’arc-en-ciel des liens tissés par la vie qui passe. ¶
Lise Facchin
Album de famille, d’après Brel, Reggiani, Brassens et tant d’autres
Mise en scène : Isabelle Turschwell et Lauri Lupi
Avec : Mariline Gourdon, Camille Voitellier / Stéphanie Cavaillès, Philippe Gouin et Ruben
Scénographie et costumes : Magali Murbach
Lumières : Jaco Bidermann
Photo : © D.R.
Ciné 13 Théâtre • 1, avenue Junot • 75018 Paris
Métro : Abbesses (ligne 12)
http://www.cine13-theatre.com/
Réservations : 01 42 54 15 12
Du 24 novembre 2010 au 8 janvier 2011 à 20 heures
Durée : 1 h 15
21,50 € | 16,50 € | 13,50 €