« Antigone », d’après Sophocle, Cour d’honneur du Palais des papes, Avignon

« Antigone », d’après Sophocle © Christophe Raynaud De Lage

Une tragédie apaisée

Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups

Satoshi Miyagi a marqué les esprits avec son adaptation du « Mahabharata » dans la carrière de Boulbon, en 2014. Cette année, le metteur en scène ouvre la 71e édition du festival d’Avignon avec une lecture rassérénante de l’ « Antigone » antique.

Un tableau saisissant accueille les spectateurs qui s’engouffrent dans la Cour d’honneur : une vingtaine de silhouettes fantomatiques glissent sur un immense plan d’eau en faisant résonner le son cristallin de leurs photophores. Le reste de la troupe fait son entrée au rythme des tambours japonais, lorsque les notes psychédéliques de la mythique Messe pour le temps présent de Pierre Henry retentissent. La rupture rythmique sonne comme un hommage au compositeur, mort un 6 juillet, et qui avait enchanté la Cour d’honneur avec son œuvre musicale, chorégraphiée par Maurice Béjart, il y a cinquante ans.

Les spectateurs ne sont pas au bout de leur surprise, puisque la troupe du Shizuoka Performing Arts Center se lance alors dans un résumé vulgarisé de la pièce, renouant avec la plus pure tradition du théâtre populaire : en cinq minutes, les comédiens s’aventurent du côté de la farce et retracent l’histoire d’Antigone dans un français malmené par les intonations nippones. Des éclats de rire étonnés du public accompagnent les ruptures narratives. Le rappel des faits tragiques éclaire autant qu’il amuse : Etéocle et Polynice, frères d’Antigone et Ismène, s’entretuent pour gouverner Thèbes. Arrivé au pouvoir, Créon refuse les rites funéraires à Polynice qui a, selon lui, perturbé l’ordre de la cité. Malgré cette interdiction, Antigone défie Créon, afin d’offrir une sépulture à son frère, au nom de la justice des dieux. Impuissant face aux raisonnements de la jeune fille, Créon finit par condamner à mort Antigone, la fiancée de son fils Hémon.


Cette parenthèse comique achevée, le retour au tempo solennel de la tragédie fournit ensuite une preuve éclatante de la virtuosité des interprètes, qui passent d’un registre à l’autre avec la plus grande efficacité. La troupe brille par son talent, en offrant un spectacle total où se mêlent musique, danse, chant et jeu. L’interprétation des comédiens est d’autant plus subtile qu’elle est soumise à la méthode propre à Satoshi Miyagi : deux acteurs pour un rôle. Autrement dit, chaque personnage est scindé en deux entités : le comédien qui parle, dissocié du comédien qui se meut. Le corps et la parole se fragmentent pour mieux révéler les élans contraires qui animent les personnages. Cette formule assure une occupation dynamique de l’espace scénique – par ailleurs élargi grâce à un système d’ombres projetées – mais peut aussi parasiter le regard du spectateur : difficile d’englober tous les détails de l’action, en plus du surtitrage.

Par-delà tout manichéisme

La mise en scène s’inspire d’une fête populaire japonaise au cours de laquelle les esprits des vivants rallient les morts, au rythme des chants et des danses traditionnelles. Comme une réminiscence de ces rites religieux, la vie côtoie constamment la mort, dans la scénographie de Junpei Kiz : un plan d’eau figure l’Achéron (le fleuve qui sépare le monde des vivants des Enfers dans la mythologie grecque) et, dans cet environnement hostile, les personnages sautent périlleusement d’une roche à l’autre.

« Antigone », d’après Sophocle © Christophe Raynaud De Lage
« Antigone », d’après Sophocle © Christophe Raynaud De Lage

Satoshi Miyagi évoque ainsi l’impossibilité de diviser les gens en deux catégories : d’un côté les amis, de l’autre, les ennemis. Dans un monde où la vision manichéenne propre aux religions monothéistes prédomine, le metteur en scène envisage une autre voie : celle de la tolérance bouddhiste dont Antigone se fait le chantre, en voulant offrir une tombe à son frère – pourtant considéré comme mauvais de son vivant. Il s’agit pour Satoshi Miyagi de confronter cette idée à la Cour d’honneur pour montrer qu’une vision pacifiée de l’autre existe. Tout comme la frêle Antigone s’arme de courage pour défier le gigantisme du pouvoir en place, la troupe se confronte à l’immensité solennelle du Palais des papes pour montrer qu’un autre rapport au monde existe, permettant, peut-être, d’éviter les tragédies.

Bénédicte Fantin


Antigoned’après Sophocle

Mise en scène : Satoshi Miyagi

Traduction : Shigetake Yaginuma

Musique : Hiroko Tanakawa

Scénographie : Junpei Kiz

Lumière : Koji Osako

Costumes : Kayo Takahashi

Coiffure et maquillage : Kyoko Kajita

Assistanat à la mise en scène : Masaki Nakano

Avec : Asuka Fuse, Ayako Terauchi, Daisuke Wakana, Fuyuko Moriyama, Haruka Miyagishima, Kazunori Abe, Keita Mishima, Kenji Nagai, Kouichi Ohtaka, Maki Honda, Mariko Suzuki, Micari, Miyuki Yamamoto, Moemi Ishii, Momoyo Tateno, Morimasa Takeishi, Naomi Akamatsu, Ryo Yoshimi, Soichiro Yoshiue, Takahiko Watanabe, Tsuyoshi Kijima, Yoji Izumi, Yoneji Ouchi, Yu Sakurauchi, Yudai Makiyama, Yukio Kato, Yuumi Sakakibara, Yuya Daidomumon, Yuzu Sato

Durée : 1 h 45

Spectacle en japonais surtitré en français

Teaser vidéo

Photo : © Christophe Raynaud De Lage

Cour d’honneur du Palais des papes • 84 000 Avignon

Dans le cadre du Festival d’Avignon

Du 6 au 12 juillet 2017 à 22 heures, relâche le 9 juillet

Billetterie : 04 90 14 14 14

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