« Black and White », le Lucernaire à Paris

« Black and White » © Alexis Haulot

La mort lui va si bien

Par Franck Bortelle
Les Trois Coups

Une comédienne, douze personnages. Douze femmes en colère. Contre leurs époux défunts. Lorette Goosse campe à elle seule cet éventail de la société, en ratissant large, de la Marie-Madeleine du plus célèbre crucifié de l’humanité à la « bizness woman » reconvertie dans les protège-slips en couleur. C’est drôle, magistralement interprété et d’une écriture ciselée de mains d’orfèvre. Ces personnages sont peut-être en quête d’honneur, d’horreur, mais pas d’auteurs. L’humour belge ne se confine pas dans les tréfonds de la blague éculée : Lorette en apporte la preuve flamboyante dans un « one-widow-show » véritable maelström de drôlerie. La mort lui va très bien…

Il y eu Brassens et Brel pour désacraliser la Camarde et en faire une compagne qui, un jour, bon an mal an, arpentera notre trottoir. Ces agnostiques voltairiens aujourd’hui n’ont plus cours (même s’ils sont discrètement cités dans le spectacle). Nous vivons sous le régime de la rigolade en regardant la Faucheuse droit dans les orbites. Il y eut Six Feet Under pour succéder aux Funérailles d’antan, Scoop (de Woody Allen) pour renvoyer au calendes grecques le Dernier Repas ou Là là là.

C’est résolument ancré dans cette tendance que se situe le one-woman-show – que l’on pourrait rebaptiser « one-widow-show » (widow : veuve) – de Lorette Goosse. Une chaise, un guéridon surmonté d’un bouquet de roses (blanches, bien sûr) pour tout décor. Une comédienne, douze personnages. Toutes veuves, ou « beubes » lorsque, à l’instar de la dernière, hilarante, elles affichent un accent ibérique à couper à la faux. En douze tableaux, tous plus macabres les uns que les autres, se profilent des portraits méchamment drôles, où la bêtise humaine, la cupidité, l’égoïsme, l’iconoclasme règnent en maîtres.

Une aristo suédoise flanquée de son toutou Dollar et qui vit des rentes éditoriales de son époux auteur du best-seller Proche de ma Porsche ; une chtimi qui veut mettre, à moindre coût, une annonce dans la gazette locale à la rubrique « des morts défunts » pour faire savoir que son jules est « mort du pancréas » ; une jeune veuve qui, pour son grand retour parmi les vivants, assiste à une réunion Tupperware plus que spéciale ; une psycho-rigide qui explique que non, elle ne prendra pas son prétendant pour cinquième époux parce qu’elle a hérité de la garde des trente et un rejetons issus des quatre premiers, qu’elle a en partie trucidés : ce ne sont que quatre exemples parmi les douze personnages à partir desquels la comédienne fait souffler des tornades de rire, grâce à une interprétation sans faille que sert un texte parfaitement ciselé. Pas un mot de trop, des allitérations judicieuses, des aphorismes à tour de phrases qui se bonifient dans la bouche de cette belle blonde frisée, voilà ce que réserve ce Black and White haut en couleur.

Comme pour nous prouver qu’elle est une artiste complète (mais ne l’est‑on pas lorsqu’on fait si bien rire un public ?), Lorette Goosse pousse la chansonnette dans un Décide‑toi, Nicole irrésistible avant de méduser la salle dans un texte bouleversant d’émotion, où la belle Toscane sonne le tocsin définitif d’un amour parfait. Ce sera la seule incursion tragique du spectacle, qui se termine par une apothéose de la drôlerie lorsque la comédienne se drape de la panoplie de catin du plus célèbre crucifié de l’humanité, d’une magnat du protège-slip puis de la veuve du roi d’Espagne.

La variété ne manque pas à l’appel, le talent non plus. La mort pour toile de fond d’un spectacle tellement vivant, on en redemande ! 

Franck Bortelle


Black and White

Auteurs des textes et musiques originales : Stéphanie Blanchoud, Élisa Brune, Philip Catherine, Christian Dalimier, Lorette Goosse, Marie‑Paule Kumps, Steve Houben, Jean‑Louis Leclercq, Stany Mannaert, Layla Nabulsi, Xavier Percy, Bernard Tirtiaux, Martine Willequet…

www.lorettegoosse.be

Mise en scène : Evelyne Rambeaux et Stéphane Stubbé

Avec : Lorette Goosse

Photo : © Alexis Haulot

Diffusion : Florence Teuwen (0032 495 60 65 18)

Durée : 1 h 30

Le Lucernaire • 53, rue Notre‑Dame-des‑Champs • 75006 Paris

Lundi 24 septembre 2007 à 20 heures

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