« Blanche », de Céline Schnepf, l’Arche à Bethoncourt

« Blanche » © D.R.

Une réussite totale

Par Maud Sérusclat-Natale
Les Trois Coups

La metteuse en scène Céline Schnepf revient à l’Arche avec une réécriture toute personnelle du conte « Blanche-Neige », qui fait vibrer en nous toutes les cordes que tend le théâtre pour interroger le monde. Du beau travail pour des spectateurs à partir de 8 ans.

Blanche, sous-titré « Conte cruel du fond des forêts » se déroule donc dans une forêt sombre et mystérieuse. Une épaisse forêt, angoissante et, bien entendu, plongée dans la nuit. Il pleut. Le plateau est circulaire, des copeaux de bois le recouvrent, de la terre aussi. Quelques troncs l’entourent. Le vent s’engouffre dans les branches nues des arbres. Alors que nous nous attendons à voir une douce jeune fille au teint frais entrer en scène, c’est un colosse tout ce qu’il y a de plus velu qui déboule, massif, lanterne à la main. Il va nous la raconter cette histoire, puisqu’on est venu pour cela, et il nous avertit de sa grosse voix : il ira « jusqu’au bout ». Ce narrateur à la mine un poil menaçante jouera également tous les rôles : la méchante reine jalouse de la beauté naturelle de Blanche-Neige, le chasseur qui est censé la tuer… et la frêle jeune fille. Si. Et attention, ça y est, « la bête est réveillée »…

Un très beau solo

Cela aurait pu mal tourner. Un récit, ultraclassique, adapté ou réécrit pour le théâtre « jeune public », un seul acteur sur le plateau, ce sont des contraintes que tous les interprètes ou metteurs en scène ne sauraient dépasser sans le faire avec brio. Ce fut le cas ce soir et haut la main. Rendons hommage d’abord au comédien Max Bouvard. Non seulement il s’empare de ces contraintes mais il le fait extrêmement bien. En un éclair, il nous guide dans les méandres de cette forêt qui dévore et étouffe les cris des enfants apeurés, mais qui regorge également de cachettes réconfortantes pour protéger les petits moineaux abandonnés. Il n’en a pas l’air, mais il s’y connaît en petits moineaux abandonnés et en métaphores psychologico-rassurantes pour héroïnes fragiles. Il nous fait fondre en quelques minutes. Sans jamais surjouer, il change de rôle en un instant et sans nous perdre. Un talent « multidimensionnel » sur lequel repose une grande part de la réussite de ce travail. Mais pas seulement !

Un spectacle pour se (re)trouver

Blanche réunit selon moi toutes les qualités du grand théâtre contemporain, de celui que j’aime et que je viens voir, y compris dans les scènes conventionnées pour la jeunesse. D’abord, le texte est d’une extrême beauté. Ce n’est pas une simple réécriture vaguement « djeun’s » du conte des Grimm, comme on en voit tant. C’est un texte d’une littérarité et d’une poésie telles qu’il va satisfaire les oreilles les plus exigeantes et chuchoter au fond de vous avec les autres chefs-d’œuvre que vous avez gardés en mémoire. Ainsi, Céline Schnepf met en lumière, avec un sens aigu du style et des images, la symbolique de ce conte qui nous rappelle comment survivre « la rage au cœur » face à la menace, comment cicatriser nos bobos et redevenir « visible au monde ». En ces temps incertains, cela n’est pas inutile, c’est même réconfortant. D’ailleurs, la fin fait frémir tant elle est belle.

La mise en scène, enfin, est brillante dans l’acception générale du terme, qu’il s’agisse de la direction d’acteur, de la collaboration à la scénographie et à la création visuelle et sonore, car Céline Schnepf s’est entourée d’une équipe tout aussi talentueuse qu’elle. L’espace est pensé dans ses moindres détails, à la fois comme décor mais autant comme trésor, mise en abyme et miroir. Le travail de conception lumière, musicale et vidéo confère également une dimension esthétique presque plastique, très soignée et très signifiante à cette pièce.

C’est donc une réussite totale, un spectacle absolument beau, dans tous les sens du terme. Il faut vous empresser d’aller le voir en famille. Ce sera sans aucun doute l’occasion de partager un moment de tendresse intense et, peut-être, le tremplin pour laisser venir une fascinante conversation philosophique et politique avec vos enfants. Une vraie leçon de théâtre ! 

Maud Sérusclat‑Natale


Blanche, de Céline Schnepf

Cie Un château en Espagne

http://www.unchateauenespagne.com/

Mise en scène : Céline Schnepf

Avec : Max Bouvard

Création musicale et sonore : Frédéric Aubry

Création vidéo : Emma Pretot et Arsim Iméri

Création lumière : Jérôme Dahl

Scénographie : Céline Schnepf et Jérôme Dahl

Construction : atelier de construction Les 2 Scènes, Julien Parthiot

L’Arche, MA scène nationale • 1, rue d’Héricourt • 25200 Bethoncourt

Réservations : 0805 710 700

billeterie@mascenenationale.com

Le 12 février 2016 à 20 heures

Dès 8 ans

Durée : 50 minutes

8 € | 4 €

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