Brève rencontre avec Gérard Gelas, auteur, metteur en scène, directeur de compagnie

Gérard Gelas © Rodolphe Fouano

« Je suis un Don Quichotte ! »

Par Rodolphe Fouano
Les Trois Coups

Auteur engagé, metteur en scène, directeur de compagnie, Gérard Gelas a fait du Théâtre du Chêne-Noir, scène permanente d’Avignon, un îlot de résistance.

Le Théâtre du Chêne-Noir a vocation à résister : c’est doublement inscrit dans le nom même de la compagnie… Pour autant, avez-vous encore le sentiment d’échapper au « système » ou reconnaissez-vous avoir quelque peu pactisé ?

En 1966, j’ai commencé à faire du théâtre de l’autre côté du Rhône, dans le Gard, dans un quartier planté de chênes verts. En baptisant la compagnie l’année suivante, j’ai choisi la couleur noire en référence au drapeau anarchiste et aux forces du théâtre portées par Antonin Artaud…

Pour le reste, on ne va pas jouer les oies blanches, nous sommes tous dans le système ! D’une certaine façon, Vilar l’était aussi. Pourtant, ce système je ne l’aime pas, même avec l’âge et en dépit d’une certaine réussite : je me fais une autre idée de l’Homme.

Alors, on résiste, en effet, voyez mon Histoire vécue d’Artaud-Mômo, portée par Damien Rémy, dans la petite salle des Mathurins, un théâtre privé parisien ! * Mais il est de plus en plus difficile de remplir les salles sans vedettes connues par la télévision et mieux encore par le cinéma, et de trouver des producteurs audacieux. Quant au public, il n’est pas toujours très curieux. Je tente de rester fidèle à mon éthique, à mon attachement au théâtre populaire, mais je me demande fréquemment si je ne devrais pas arrêter… Je suis un Don Quichotte ! Il faut bien de la passion pour tenir un théâtre dans les conditions d’aujourd’hui…

Quelle concession vous coûte le plus ?

Ne pas pouvoir dire en face aux politiques, quoique ma liberté de parole m’ait déjà coûté cher, tout le mal que je pense d’eux ! Je perdrais toute subvention… Comment ne pas rager devant l’incompétence de l’autorité administrative qui nous tient ? Je songe, par exemple, à tous ces fonctionnaires qui croupissent dans les D.R.A.C., qui ne font rien et qui vous jugent ! L’attitude des municipalités aussi est à signaler : dans la détresse, la Ville d’Avignon m’a signifié, en décembre 2014, une baisse de subvention pour 2015 de près de 15 %. Et je ne suis pas le seul à souffrir de telles restrictions.

Le Théâtre du Chêne-Noir est une réussite. Ouverte à l’année, cette scène permanente d’Avignon collectionne les succès. En juillet 2014, elle a proposé 12 spectacles, réuni 44 000 spectateurs, dont 6 500 pour le seul Nouveau Tartuffe que vous mettiez en scène. Quelle est votre recette ?

Je travaille dans la fidélité avec des artistes que j’aime, et le public le sent. Le fonctionnement du Chêne noir est lié à ma personnalité. J’entretiens un contact direct avec les gens. Du coup, le milieu professionnel a longtemps eu du mal à m’accepter dans la « grande famille du théâtre » (je mets les guillemets d’usage), d’autant que je viens du monde de la musique : jazz et rock and roll. Je n’ai pas suivi les modes non plus…

Étrange ville d’Avignon qui a réhabilité ses chapelles en salles de spectacle. Votre compagnie, après une première installation rue Saint-Joseph, est abritée depuis 1971 dans une chapelle abandonnée du xiie siècle.

Ce sont les artistes qui ont créé des lieux de spectacle à Avignon, non la municipalité, même si elle les a parfois aidés. Mais cette transformation s’est opérée pour le meilleur et pour le pire. Trop de salles sont tenues aujourd’hui par des marchands de soupe. Ce sont de faux théâtres ouverts trois semaines par an, pendant le Festival. Cela conduit à des aberrations hallucinantes. Certains se croient inspirés en suggérant qu’ils restent ouverts à l’année. Simpliste utopie : il n’y aurait pas suffisamment de public dans cette petite cité qu’est Avignon. En revanche, de nombreux équipements pourraient permettre à des compagnies de répéter et de travailler en dehors du Festival.

De quoi êtes-vous le plus fier ?

De mon équipe, à l’effectif réduit faute de moyens, mais qui sait faire vivre un vrai théâtre à l’année.

L’écriture est la grande passion de votre vie, contrariée par la censure…

J’écris depuis l’âge de douze ans. Mon premier spectacle, en 1966, était composé de poèmes que j’avais écrits et mis en musique, dits par Bernadette Marini. L’année suivante, j’ai composé ma première pièce, la Paillasse aux seins nus que Daniel Auteuil aurait dû créer en 1968 sans un accident de voiture. Je l’ai remplacé, mais la pièce a été interdite le 18 juillet par le préfet du Gard pour « risque de trouble à l’ordre public » et « atteinte à la personne du chef de l’État ». Un élan de protestation a suivi, notamment de la part de Maurice Béjart et du Living Theater de Julian Beck, mais je ne me suis jamais remis de cet épisode. D’autant qu’une nouvelle censure m’a frappé en 1970. Cela m’a conduit chaque fois à reprendre la plume. Et je viens tout juste de terminer une nouvelle pièce…

Quel regard portez-vous sur l’évolution du Festival d’Avignon ?

Cela change tout quand le Festival cesse d’être conduit par des diplômés d’école de commerce, même si je reconnais leur intelligence. J’étais en désaccord total. Le Festival semblait piloté selon un plan marketing. Nous sommes enfin sortis du prêt-à-penser.

Olivier Py est un véritable artiste aux prises de position courageuses. Il encourage la jeune création et sait prendre des risques. Je l’admire franchement, et je le dis d’autant plus volontiers que nous n’avons pas d’atomes crochus. J’ai beaucoup apprécié l’éditorial de l’avant-programme 2015. On retrouve un souffle que nous n’avions plus.

Comment analysez-vous l’inflation galopante de spectacles dans le Off, plus de 1 300 en 2014 ?

Ce développement est à l’image de notre société libérale. Beaucoup viennent à Avignon faire du fric. Ils appellent cela « théâtre ». Ce serait du cul, ce serait pareil. Tout se vend et tout s’achète ! Et comme nous sommes minoritaires à penser que les choses pourraient se passer autrement, ils ont un boulevard… Il n’y a rien à dire de plus. Mais je ne me réjouis évidemment pas de cette situation. Le gras n’est pas un signe de santé !

L’actualité nationale et internationale est plutôt sinistre. L’inquiétude domine. À quoi sert le théâtre dans ces conditions ?

Cela évite à certains artistes d’être enfermés dans un hôpital psychiatrique, ce n’est déjà pas mal ! Dans une période où tout doit servir à quelque chose, dire que le théâtre ne sert à rien serait peut-être lui rendre le plus bel hommage. Au-delà de la provocation, je le crois assez. Cela permet surtout de rassembler des gens venus en voir d’autres sur scène, dans une espèce de messe laïque. D’autres l’ont mieux dit que moi. On en a plus que jamais besoin. Et sur ce point, je n’ai qu’un regret : peu de jeunes gens semblent partager ce sentiment. Le vieillissement du public est un problème essentiel. 

Propos recueillis par

Rodolphe Fouano


Photo de Gérard Gelas : © Rodolphe Fouano

Pour en savoir plus : www.chenenoir.fr

Lire aussi : Saltimbanque, Gérard Gelas ou le théâtre de l’inconfort d’André Baudin, préface de Philippe Caubère, L’Harmattan, 2011.

* Spectacle d’après la Conférence du Vieux-Colombier, créé en 2000 à Avignon, qui a beaucoup tourné en France et à l’étranger. Reprise à Paris, au Théâtre des Mathurins, à partir du 29 janvier 2015.

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