Brève rencontre avec Victor Haïm, auteur dramatique et comédien

Victor Haïm © D.R.

« Je n’ai pas écrit
la grande pièce
dont je rêvais. »

Par Rodolphe Fouano
Les Trois Coups.com

Auteur dramatique, comédien, Victor Haïm porte sur ses pièces et sur le théâtre d’aujourd’hui un regard lucide et sans concession.

On ne vous avait pas vu sur scène depuis longtemps…

Depuis janvier 2011, dans Fureur, au Petit Hébertot, où je tenais le rôle d’un chef d’orchestre licencié par ses musiciens : un seul en scène avec la 6e symphonie de Beethoven. Je suis surtout acteur de mes propres pièces. J’en ai joué six ou sept. Je ne pensais pas remonter sur scène. Si je joue actuellement dans Blind Date, c’est parce que Mario Diament, un auteur argentin qui vit aux États-Unis, me l’a demandé avec insistance 1. En vérité, je n’éprouve pas de plaisir à jouer et j’ai un trac fou tous les soirs.

Vous semblez pourtant serein, en aveugle extralucide…

C’est le fruit d’un terrible travail mental. Je suis heureux de défendre un bon texte, mais la peur ne me quitte pas. J’accomplis une mission : servir une pièce dense avec un rôle réputé écrasant (la pièce a déjà été jouée dans 17 pays et connaît un gros succès à Buenos Aires).

Est-il plus difficile de jouer les textes des autres plutôt que ceux dont on est l’auteur ?

Je le crois. Je gagne beaucoup de temps en jouant mes propres pièces en ce sens que je sais ce qu’elles veulent dire ! Quand on joue le texte d’un autre, c’est au metteur en scène de répondre aux interrogations des acteurs.

La psychologie de l’acteur vous est familière. Non seulement vous avez été formé au conservatoire de Nantes, mais vous avez enseigné l’art dramatique au Cours Florent, au Studio 34, au Théâtre de l’Ombre…

J’essayais simplement d’expliciter les textes et de faire travailler les élèves comme je l’entends, sans prétention. J’ai été à bonne école en observant les grands comédiens qui ont joué mes pièces : Françoise Seigner, Danièle Delorme, Robert Hirsch, Michel Aumont, Jean‑Paul Roussillon, Pierre Santini, Fabrice Luchini… J’ai appris le métier en les regardant répéter.

Votre carrière d’auteur dramatique a débuté en 1963 avec la Peau du carnassier. Quel regard portez-vous sur ces cinquante‑deux ans d’écriture ?

Je n’ai pas honte de mes pièces, mais je ne suis pas certain d’avoir écrit la grande pièce que je rêvais d’écrire. Abraham et Samuel, Velouté et Chair amour sont mes préférées.

Étienne Bierry a eu un rôle déterminant dans l’orientation de votre carrière…

J’avais écrit Isaac et la Sage-femme en pensant à Michel Bouquet, qui n’a pas pu la jouer parce qu’il était trop pris. Et c’est ainsi grâce à Étienne Bierry, le directeur du Théâtre de Poche, que je suis remonté sur scène. Je ne m’en sentais pas capable. Finalement, quand on est contraint et forcé, on se dépasse !

Un ton comique et un fond tragique caractérisent vos pièces. Cela vous inscrit dans le courant théâtral aux côtés de Beckett, Ionesco, Adamov, Obaldia…

Vous citez là des auteurs considérables. J’ai simplement suivi ma pente. En tout cas, je n’ai jamais écrit en fonction de critères mercantiles ou de calculs triviaux. J’ai fait ce que j’avais envie de faire et, quelquefois, je me suis un peu entêté. J’ai fui la psychologie alors que je crois que j’aurais été meilleur en composant des pièces psychologiques. Mais je trouve formidable l’évolution actuelle. Le xxie siècle a fait machine arrière : maintenant, les pièces ressemblent à du Tennessee Williams et du Henri Bernstein !

Pourquoi les journalistes ne se sont-ils pas intéressés à celles de vos pièces qui vous semblent les plus importantes ?

Nombre de critiques n’ont pas vu mes bonnes pièces parce qu’elles ont été souvent jouées dans des lieux confidentiels comme L’Essaïon, le Théâtre du Renard ou Le Lucernaire. Et sans vedette ! En revanche, ils se sont intéressés à celles qui, sans être commerciales, sont plus faciles d’accès, et qui ont été servies par des comédiens très connus. Ils ont ainsi vu la Visite qui est une pièce contestable que je réfute un peu, ne la trouvant pas très bonne.

Fabrice Luchini a joué la Valse du hasard dès 1986…

À l’époque, il n’était pas la vedette qu’il est devenu. Aujourd’hui, près de 200 compagnies ont joué cette pièce qui n’est pas la meilleure non plus. Elle fait partie de mes « essais ». Je considère sincèrement que ces textes ne sont qu’une tentative. Plus tard, j’ai fait des textes plus aboutis. Mais Velouté, par exemple, ou Chair amour ont été joués par des acteurs inconnus : Jean Guérin, Dominique Arden, Alida Latessa, Emmanuel Dechartre, moi-même… Or, les critiques ne se déplacent pas quand il n’y a pas d’acteurs vedettes.

Comment expliquer que vos pièces les plus abouties n’aient pas été servies par de grands noms du métier ?

Attachées à la forme plus qu’au fond, les vedettes considèrent davantage le rôle que la pièce dans son ensemble. Cela explique le succès de la Visite. Si c’est pathétique, violent, avec du suspens, bref des critères commerciaux, ça marche. Mais il est arrivé quand même que mes textes ambitieux soient bien servis : Abraham et Samuel, joué par Michel Aumont et Jean‑Paul Roussillon, a été un triomphe.

L’auteur compte moins que l’acteur aux yeux du public ?

Bien sûr ! Prenez le Rire de David. Personne ne s’est déplacé pour mon écriture. Tout le monde s’en fichait ! C’est Élisabeth Depardieu que l’on venait applaudir. Avec ce constat, j’aurais pu décider, comme certains, d’écrire seulement pour tel ou tel. Mais je m’y suis refusé.

Vous militez de longue date en faveur du droit d’auteur, au sein de la S.A.C.D. dont vous êtes l’un des administrateurs 2. Les auteurs ont été malmenés dans les années 1970-1980. On les disait même disparus. Ont-ils retrouvé une place satisfaisante dans le paysage théâtral ?

Il y a encore trop de bons textes qui dorment dans les tiroirs. Mais certains auteurs vivants sont admirés, voire adulés, joués régulièrement et gagnent confortablement leur vie. L’édition théâtrale a aussi retrouvé une certaine vigueur.

Si tant d’auteurs vivants ne sont pas montés, à qui la faute ?

Trop de directeurs sont incompétents. Ils tiennent un théâtre comme ils auraient acheté une péniche pour promener des personnes âgées ou, en d’autres temps, ouvert une maison close ! Dans le secteur privé, certains achètent des salles simplement parce qu’ils sont riches et que ça rapporte. Dans le secteur public, on a affaire à des gens souvent cultivés, parfois talentueux, mais au nombril hypertrophié. Alors, pour faire leurs preuves, ils montent Shakespeare ou Molière, Marivaux ou Tchekhov, plutôt qu’un auteur vivant inconnu. Et puis il y a le snobisme : certains metteurs en scène préfèrent une mauvaise pièce allemande à une bonne pièce française… 

Propos recueillis par
Rodolphe Fouano

  1. Théâtre de la Huchette, Paris.
  2. Société des auteurs et compositeurs dramatiques.

Photo de Victor Haïm : © D.R.

Les pièces de Victor Haïm ont été publiées à L’Avant-scène ou à L’Œil du prince

www.avant-scene-theatre.com

www.librairietheatrale.com/60-l-oeil-du-prince

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