« Casimir et Caroline », d’Ödön von Horváth, cour d’honneur du palais des Papes

« Casimir et Caroline » © Phile Deprez

Le manège désenchanté

Par Sylvie Beurtheret
Les Trois Coups

Mon premier Festival d’Avignon… Je ne pouvais pas faire l’impasse sur la mythique cour d’honneur. Ce soir-là, « Casimir et Caroline », les amoureux déçus de l’auteur germano-hongrois Ödön von Horváth (1901-1938) s’y étaient pour la troisième fois donné rendez-vous. Dans le charivari d’une fête foraine. Pour sûr, du chambard il y en a eu ! Mais étouffant du coup les résonances d’une pièce à la réputation de chef-d’œuvre. Loin de me griser, cette Fête de la bière devenue opérette pop sous la baguette des Néerlandais Johan Simons et Paul Koek, deux vieux compagnons de route célèbres dans le nord de l’Europe pour leurs « spectacles-performances », allait me coller des aigreurs d’estomac.

Tout avait pourtant bien commencé. Dans l’esthétique criarde et déchirante d’un décor dû au scénographe allemand Bert Neumann. Dévorant les murailles du palais des Papes, un immense échafaudage se fait montagnes russes, jukebox géant. « Enjoy » ordonne une grande enseigne, de ses lettres scintillantes. Tandis que tout là-haut dans les étoiles, enfantine chimère, une petite maison éclaire la nuit de son néon rose. Sur le plateau, on a garé une improbable voiture, et des musiciens en costume de troubadour s’apprêtent. Le miroir aux alouettes est en place. Et je me sens toute chose quand déboulent une Caroline et un Casimir beaucoup plus âgés que les rôles (mais Casimir ne glissera-t-il pas au fil d’une réplique « nous vivons dans une société où nous avons l’air plus vieux que notre âge » ?). Ce qui les rend vraiment plus touchants et populaires. Elle, habillée pour sortir, en robe verte de petite fille et perruque blonde de Marilyn. Lui, gros nounours pataud en baskets et chemise hawaïenne. Hélas ! Mon émotion sera de courte durée.

Caroline, c’est une petite employée qui rêve de réussite sociale et entraîne son amoureux à la grande Fête de la bière à Munich, histoire d’oublier un peu la dureté de la vie. Mais Casimir ne voulait pas y aller à cette fête : il vient de perdre son emploi de chauffeur et vit du coup dans la hantise que sa fiancée le quitte pour un plus riche. Même si elle lui jure farouchement que leur amour est plus fort que l’argent. Mensonge… Le temps de la fête, lieu de joyeuse illusion d’égalité et d’identité populaires, elle s’encanaillera au gré de ses rencontres, finissant par abandonner son amoureux pour des hommes plus aisés. Tandis que Casimir se consolera avec la petite amie d’un copain malfrat. Comme quoi, les hiérarchies sociales et l’argent roi finissent toujours par s’imposer. Voilà toute l’histoire.

Mais l’histoire ne prend pas. Pendant deux trop longues heures (le texte est pourtant plutôt ramassé), la troupe néerlandaise se démène dans tous les sens, grimpant moult fois aux étages. Admirable énergie, bien sûr ! Mais cette débauche de mouvements m’essouffle, me faisant perdre en chemin la force dramatique du texte. D’autant que les comédiens, qui ont certes le mérite de donner la réplique dans un français mâtiné d’un accent délicieux, butent souvent sur les mots. On dirait des marionnettes ! Pas des êtres de chair et de sang… Ça sonne drôlement faux et ça manque de finesse. Je ne ressens rien du bel amour en fuite du couple Els Dotterman (Caroline) et Wim Opbrouck (Casimir). Rien de leurs blessures profondes, de leurs démons intérieurs ni de leurs doutes. Kristof Van Boven joue sans subtilité la petite frappe Franz Merkel. Deux personnages heureusement arrivent à me toucher. Oscar Van Rampay, tout en distinction et retenue, rend bien l’ambivalence du timide tailleur Schürzinger, courageux et lâche à la fois. Et la longue tige de Yonina Spijker (Erna), tout en grâce maladroite, campe très justement la fille paumée.

En vain : je commence à décrocher. Assourdie par les synthétiseurs de Paul Koek, qui a composé tout exprès une partition new wave très années 1980. Belle musique, hélas omniprésente : où sont ces silences qui en disent long ? Et cette fête foraine a beau trop bien s’entendre, je ne la vois pas. Juste une présentation expédiée d’un monstre de foire, c’est frustrant. Alors, quand le tailleur lâche au ciel un ballon-dauphin, symbole de ses espoirs déçus, mon esprit s’envole avec. Depuis belle lurette, d’ailleurs, des grappes de spectateurs désertent la Cour. En silence toutefois. Pas de ces inutiles huées qui avaient retenti au soir de la première… Bref ! Quand je redescends de mon nuage, le spectacle s’achève sur des comédiens qui chantent. Et là, miracle, je les trouve, mais un peu tard, poignants…

Ouf ! Je quitte le bel endroit, un brin horripilée. M’interrogeant sérieusement sur l’intérêt de ce texte écrit au seuil des années 1930, à la veille des grands bouleversements qui ravageront l’Allemagne. Les connaisseurs, dont Johan Simons et Paul Koek, disent pourtant toute la portée profonde de cette pièce magnifique qui parle, dans une langue grave, stylisée et poétique, de ces êtres broyés par la crise et l’exploitation économique. Un drame socio-amoureux d’une criante actualité, donc. Alors, j’ai la désagréable sensation que les deux complices néerlandais ne nous en « offrent » qu’une proposition explosive, sonore et vide… Bon ! Je vais lire cette pièce. Pour l’entendre enfin. Au calme. 

Sylvie Beurtheret


Casimir et Caroline, d’Ödön von Horváth

Production NTGent (Gand) et De Veenfabriek (Leiden)

Mise en scène : Johan Simons

Avec : Reinout Bussemaker, Els Dottermans, Frank Focketyn, Elsa May Averill, Wim Opbrouck, Judith Pol, Yonina Spijker, Ineke Trekker, Louis Van Beek, Kristof Van Boven, Oscar Van Rompay et les musiciens Ton Van der Meer, Bo Koek, Rik Elstgeest, John Van Oostrum

Direction musicale : Paul Koek

Dramaturgie : Paul Slangen

Scénographie : Bert Neumann

Musique : De Veenfabriek et Paul Koek

Photo : © Phile Deprez

Cour d’honneur du palais des Papes

Du 23 au 29 juillet 2009 à 22 heures, relâche le dimanche

Durée : 2 h 10

De 38 € à 13 €

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