« Dancefloor Memories », de Lucie Depauw, Théâtre Paul‑Scarron, Le Mans

Dance floor Memories © Alain Szczuczynski

Inoubliable

Par Céline Doukhan
Les Trois Coups

Portant avec ferveur le très beau texte de Lucie Depauw, le Théâtre de l’Éphémère bouleverse avec sa dernière création.

« Scène conventionnée pour les écritures théâtrales contemporaines » : derrière cette dénomination pas franchement séduisante se cache pourtant le remarquable travail de mise en valeur des auteurs vivants opéré par la troupe du Théâtre de l’Éphémère, dirigé par Didier Lastère et Jean‑Louis Raynaud, au Mans. Chaque année, l’Éphémère propose une création et fait inlassablement découvrir les pièces d’auteurs souvent peu connus du grand public. Des textes qui entrent souvent en résonance avec des thèmes contemporains, à l’instar de Conte de la neige noire en 2015. Dans cette œuvre, un fils rejetait son père pour vivre une vie en marge de contraintes sociales et financières jugées insupportables, laissant son géniteur désemparé.

Sur un thème bien différent, Dancefloor Memories n’en est en fait pas si éloigné. Cette fois, c’est Marguerite qui fait sa révolution. Elle qui a connu son mari Pierre des décennies plus tôt est maintenant attirée par un autre homme. Ce Gary, un ancien G.I. qui porte beau, ne mâche pas ses mots quand il s’agit de lui avouer un attrait tout sauf platonique… Pierre, lui, ne sait plus. Il oublie un peu tout, tout le temps. Marguerite l’aide. Et l’aime. Que faire ? Céder aux sirènes de « l’ami américain » ou rester fidèle et dévouée à son mari ?

Résoudre avec une infinie tendresse et un humour souvent décapant ce dilemme qui pourrait être tragique, c’est le miracle qu’opère Dancefloor Memories.

Disons-le maintenant pour nous consacrer ensuite à l’essentiel, le seul bémol est ce prétendu accent américain adopté par Alain Bert (Gary), et qui ne trouve jamais sa place.

Ceci étant dit, la réussite est totale. D’abord par le choix du texte, qui balance sans cesse entre rires et larmes, parfois tout en finesse, parfois abruptement. Ce n’est sans doute pas un hasard s’il a été mis en scène par la Comédie-Française en 2015 1. Les images poétiques y succèdent à une irruption triviale du quotidien. On y rencontre ainsi une « A.A.D. » (aide à domicile) et les nombreux Post-It ® que Marguerite laisse à son mari pour, entre autres, lui rappeler où se trouve la porte des toilettes…

De son côté, Didier Lastère, à la mise en scène, réalise un travail d’orfèvre. Il accompagne parfaitement le texte dans ses délicatesses comme dans ses éclats de voix, et ménage un véritable écrin à ses trois interprètes, s’appuyant sur la scénographie simple et ingénieuse de son complice Jean‑Louis Raynaud. Il suffit en effet de changer les projections qui animent les quelques mètres carrés de parquet posés au sol pour se retrouver au dancing, ou bien, quand apparaît un papier peint délavé, chez Pierre et Marguerite. De même, la création sonore d’Amélie Polachowska, par des touches de musique désuète ou festive, souligne avec ce même mélange de gravité, d’humour et de tendresse, l’univers si émouvant de Dancefloor Memories.

La tentation de l’adultère ? L’impuissance douloureuse face à la maladie qui empire ? L’amour quand on n’est plus de la première jeunesse ? Ces thèmes enchevêtrés pourraient aisément donner lieu à un spectacle tire-larmes, façon saga de l’été. Mais leur imbrication, ici toute naturelle, constitue au contraire une force.

Car c’est bien une impression de vie et d’énergie joyeuse qui se dégage en définitive de ces cinq « mouvements ». Il suffit à Gary, incarné par le surprenant Alain Bert, de voir Marguerite pour que son cœur et sa libido s’emballent. Il n’en revient pas. Marguerite, sensible et pétillante, « désobéit à maman », enfin. Danielle Maxent achève de la rendre attachante dans ses incertitudes et ses imperfections mêmes. Elles doivent être nombreuses, les femmes qui se reconnaissent en elle.

Quant au personnage de Pierre, il n’est pas du tout le malade passif qu’on aurait pu craindre. Lui aussi est tout à fait lucide, tant que ses forces le lui permettent, et Lucie Depauw a mis dans sa bouche certaines de ses répliques les plus drôles, comme « Léonie [l’aide à domicile, N.D.L.R.] me parle, me parle, me parle… Heureusement que je ne me souviens pas de tout ! » Trois interprètes de grande classe qui semblent portés par les mots de Lucie Depauw autant qu’ils les portent. 

Céline Doukhan

  1. Au Studio‑Théâtre, du 26 mars au 10 mai 2015, avec Elsa Lepoivre, Christian Gonon et Hervé Pierre.

Lire aussi « la Guitare », de Michel del Castillo, Théâtre du Chêne‑Noir à Avignon.

Lire aussi « Pour Louis de Funès », de Valère Novarina, Théâtre de l’Éphémère, Le Mans.


Dancefloor Memories, de Lucie Depauw

www.theatre-ephemere.fr

Mise en scène : Didier Lastère

Avec : Yves Barbaut, Alain Bert et Danielle Maxent

Espace sonore : Amélie Polachowska

Scénographie : Jean‑Louis Raynaud

Création lumière : Stéphane Hulot

Création vidéo : Rafi Wared

Costumes : Christine Vallée

Assistante à la création : Axelle Lebatteux

Photo : © Alain Szczuczynski, peinture de Guy Brunet

Théâtre Paul‑Scarron • 8, place des Jacobins • 72000 Le Mans

Réservations : 02 43 43 89 89

Les 27 et 29 septembre 2016 à 20 h 30, le 29 à 18 h 30, les 1er et 2 octobre à 17 heures, reprise le 26 janvier 2017 à 18 h 30, le 27 à 20 h 30, les 28 et 29 à 17 heures

Durée : 1 h 10

Tarif unique : 8 €

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