« Dantons Tod », d’après Georg Büchner, Théâtre national de Bretagne à Rennes

« Dantons Tod » © Brigitte Enguérand

Une œuvre en chantier ?

Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups

Le metteur en scène berlinois Peter Kleinert crée « Dantons Tod » (« la Mort de Danton ») à l’occasion de Mettre en scène 2016. Après cette résidence européenne de création, à Rennes, la pièce sera présentée à la Schaubühne de Berlin à partir du 17 décembre prochain.

Pour la seconde fois, après Sainte‑Jeanne des abattoirs de Brecht (2013), Peter Kleinert revient à Mettre en scène avec des élèves de troisième année de l’école Ernst-Busch à Berlin. Il les confronte à la pièce de Büchner, Dantons Tod, texte que l’auteur a écrit quand il avait sensiblement leur âge. Le parti pris de Kleinert est d’associer étroitement ses interprètes à sa mise en scène.

Après Ça ira (1). Fin de Louis de Joël Pommerat, c’est le deuxième texte consacré à la Révolution française de 1789 présenté dans cette édition de Mettre en scène. Büchner commence à peu près là où s’arrête Pommerat. Nous sommes en 1794, la Constitution et la Déclaration des droits de l’homme ont été proclamés et la Révolution est en crise. Malgré les interventions très pédagogiques d’une sorte de Monsieur Loyal, il faut mobiliser ses connaissances historiques pour ne pas se perdre entre les jacobins, les cordeliers, les girondins et autres montagnards et distinguer les lignes politiques de Robespierre, Danton, Desmoulins, Hébert et consorts.

La question posée est toujours d’actualité, comme vient de le rappeler la disparition de Fidel Castro. Est‑ce une fatalité que « la révolution, comme Saturne, dévore ses enfants », ainsi que le formule Büchner après Jacques Mallet du Pan ?

Un complexe obsidional

Büchner, qui écrit en 1835, semble penser que les révolutions sont le produit et les victimes de forces qui dépassent les hommes qui les font. L’histoire, de la révolution bolchevique à celle de Cuba, paraît lui donner raison. Un même complexe obsidional, mêlant les ennemis de l’intérieur et ceux de l’extérieur, débouche chaque fois sur une dictature, censée sauver les acquis de la révolution.

Les apprentis comédiens de l’école Ernst-Busch donnent chair et vie à ce débat qui pourrait n’apparaître que théorique. Sur un plateau dépouillé, dans une mise en scène vive et inventive, ils font vivre les personnages historiques sans costumes ni perruques, ou alors de fantaisie. Certains font l’effort de dire une partie de leur rôle en français.

La Vertu doit régner par la Terreur. Robespierre

Le texte de Büchner, tel qu’il nous est livré ce soir et tel que je le comprends par les seuls surtitres en français, ne permet pas de distinguer clairement les fractures qui séparent Robespierre de Danton. On en reste à l’image assez traditionnelle du Robespierre froid théoricien qui refuse toute pause dans les réformes, quel qu’en soit le prix. En face, on trouve un Danton plus humain, trop humain pour Robespierre. À Robespierre qui proclame que « là où règne la violence, seule la violence aide » et en conclut que « la Vertu doit régner par la Terreur », Danton rétorque que « la liberté se nourrit de la misère des autres ». Il plaide pour une pause qui permettrait de soulager le peuple qui meurt de faim. Robespierre critique son attitude comme de la mollesse, de la complaisance à soi et exalte la nécessité de l’intransigeance pour le vrai révolutionnaire. Évidemment, le plaidoyer de Danton est aussi pro domo, il tient à son confort matériel et sentimental.

La scène entre lui et son épouse Louise est un grand numéro d’acteurs et un moment fort de la pièce. La mise en scène de la douleur de Louise et de Lucile, l’épouse de Desmoulins, est une vraie réussite et c’est également un beau récital de comédiennes.

Je dois avouer que j’ai eu plus de mal à discerner ce qu’annonce le metteur en scène, le sens que cette pièce a pour ses jeunes interprètes, « la vérité de ces jeunes gens, leurs idées, leur imaginaire ». Comme ils ont tous reçu une formation musicale, ils s’expriment en chansons (rock, punk, blues, pop, etc.). C’est donc une façon légère de jouer un texte grave. Si c’est là qu’il fallait chercher leur vision de l’œuvre et leur manière d’appréhender le problème posé, je confesse que cela m’a échappé et le savoir-faire des musiciens n’est pas en cause.

Au moment de conclure, je suis perplexe, comme bon nombre de spectateurs, m’a‑t‑il semblé. Ravi de découvrir de jeunes comédiens talentueux mais frustré de voir se dérober le sens profond de ce qui m’a paru une œuvre en chantier. 

Jean-François Picaut


Dantons Tod (la Mort de Danton), d’après Georg Büchner

Spectacle en allemand, surtitré en français

Mise en scène : Peter Kleinert

Avec : Jonas Dassler, Monika Freinberger, Lola Fuchs, Daniel Mühe, Vincent Redetzki, Esra Schreier, Gustav Schmidt, Paul Maximilian, Schulze, Lukas T. Sperber

Dramaturgie : Nils Haarmann

Décor : Alena Georgi

Costumes : Susanne Uhl

Photo : © Brigitte Enguérand

Production : Schaubuhne am Lehniner Platz (Berlin)

Coproduction : The Hochschule für Schauspielkunst « Ernst Busch » (Berlin) ; Théâtre national de Bretagne (Rennes)

Théâtre national de Bretagne • salle Serreau • 1, rue Saint‑Hélier • 35000 Rennes

Réservations : 02 99 31 12 31

www.t-n-b.fr

Du 23 au 26 novembre 2016 à 20 heures

Durée : 2 h 15

20 € | 11 €

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