Redécouvrir Tchekhov
Par Maja Saraczyńska
Les Trois Coups
Après avoir mis en route la « Machine Tchekhov », Matéï Visniec renoue à nouveau un dialogue captivant avec l’auteur de « la Mouette ». C’est « De la fragilité des mouettes empaillées », une pièce inédite qui revisite le drame de Tchekhov en apportant de multiples réponses et d’interprétations possibles de cette comédie humaine étrange. La compagnie du Ness l’habille dans une mise en scène sobre et efficace dans sa simplicité.
L’écriture de Visniec ne cesse de dialoguer avec notre héritage dramatique, de le questionner et de le transformer à sa guise. De la fragilité des mouettes empaillées propose une nouvelle façon d’aborder l’œuvre de Tchekhov en apportant une relecture personnelle de la pièce et des relations entre les personnages principaux. Ici, la Mouette se prolonge. Des années ont passé, et une Nina vieillissante refait apparition dans la vie de Trépliev. Elle est poursuivie par Trigorine, qu’elle désire assassiner une fois pour toutes…
Grâce à une scénographie légère, discrète et à peine esquissée, nous sommes transportés d’un endroit à un autre. Une simple porte fixée sur scène nous ouvre l’horizon. Elle nous permet de quitter immédiatement l’espace fermé de l’intérieur de l’ancienne demeure de Sorine afin d’entrer dans le parc et de revisiter « le plus beau théâtre du monde ». Celui à côté du lac, où Nina a joué jadis la pièce de Trépliev…
Le regard pointilleux de Visniec apporte au texte de Tchekhov une dimension particulière. Il construit une pièce sur le temps, sur la vieillesse et la détresse, sur le désir d’arrêter les horloges et d’écarter les miroirs. La compagnie du Ness passe alors habilement d’une saga sur l’amour (trio amoureux Nina-Trépliev-Trigorine) à l’exploration de la place qu’occupe le théâtre dans la vie individuelle de chacun des protagonistes. Peut-on être une si mauvaise actrice et aimer autant le théâtre ?, se demande la Nina de Visniec, rendue délicieusement déséquilibrée par le jeu d’Isabelle Hurtin.
Un étrange décalage
À cet égard, un étrange décalage s’installe dans le jeu même des comédiens : en face d’une Isabelle Hurtin excessive qui incarne une Nina surexcitée, fébrile jusqu’à en devenir inquiétante, Frédéric Constant joue un Trépliev trop effacé et pas assez investi dans son rôle. D’où l’impression de monotonie et d’insincérité qu’il dégage. Heureusement, Daniel Martin (Trigorine) fait le lien entre ce couple déstabilisant.
Par ailleurs, le texte de Visniec ne manque pas d’humour et d’(auto)dérision. Il fait ainsi un clin d’œil malin à la dimension comique présente tout au long de la Mouette de Tchekhov. Dommage seulement que cet aspect soit à maintes reprises oublié dans la mise en scène d’Isabelle Hurtin. Par moments trop illustrative (notamment le passage où Nina présente les animaux – ses uniques spectateurs), elle perd parfois de sa force symboliste. Celle qui, en esquissant à peine certains éléments de décor (le théâtre, la neige, les portes…), agit pleinement sur l’imagination du spectateur. À l’inverse, le fond musical (François Couturier et Jean‑Marc Larché) omniprésent est très réussi.
Une drôle d’ambiance s’installe alors dans cette jolie petite salle du Théâtre des Variétés, pouvant à elle seule servir de scénographie pour ce spectacle : une ambiance tragi-comique, à mi-chemin entre l’univers de Tchekhov et celui de Visniec. ¶
Maja Saraczyńska
De la fragilité des mouettes empaillées, de Matéï Visniec
Cie du Ness
Mise en scène : Isabelle Hurtin
Assistant artistique : Thomas Cousseau
Avec : Daniel Martin, Isabelle Hurtin, Frédéric Constant, Mathieu Lefranc
Lumières et scénographie : Jean‑Marc Hennaut
Création musicale : François Couturier et Jean‑Marc Larché
Théâtre des Variétés • 7, boulevard Montmartre • 75002 Paris
Réservations : 01 42 33 09 92
Du 10 juin au 20 juin 2010, du mardi au samedi à 19 h 30, le dimanche à 17 heures, relâche le lundi
Durée : 1 h 20
20 € | 14 € | 12 € | 10 € | 8 €