« Dieu, qu’ils étaient lourds… ! », de Louis‑Ferdinand Céline, la Luna à Avignon

Dieu qu’ils étaient lourds ! © Maelstaf

Céline et son double

Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups

Interprète d’Artaud, le fascinant Marc‑Henri Lamande se glisse aujourd’hui dans la peau du sombre Louis‑Ferdinand Céline. Il orchestre une troublante « rencontre théâtrale et littéraire » avec l’écrivain, à partir des « Entretiens avec le professeur Y », échanges fictifs écrits par Céline. Le mimétisme de l’acteur avec l’écrivain force l’admiration.

« Alors voilà, je me trouve, à présent, à faire un “interviouwe” dans un décor de chaise électrique… ! Mais ça ne va pas me troubler du tout et je vais dire tout ce que j’pense et personne ne m’empêchera de parler… » De la pénombre émerge un homme malingre dans une veste de gros velours, cheveux gris négligés et yeux plissés. Il s’enfonce dans un lourd fauteuil pivotant, face à deux microphones, puis lance un regard vers l’auditoire, sans réellement chercher à capter une quelconque attention, ni celle de l’interlocuteur, qu’il a d’ailleurs voulu en retrait, ni celle des spectateurs qu’il fait mine d’ignorer. Regards fuyants et gestes heurtés, il hache ses phrases, les ponctue de silences et d’hésitations, de « hein », de « euh », de « n’est‑ce pas ? »… autant d’idiotismes céliniens.

Soucieux de retrouver les faveurs du public, après sa compromission durant la guerre ainsi qu’un exil en Allemagne et au Danemark, l’écrivain réalise une série d’entretiens radiophoniques et télévisuels. Il écrit également en 1954, sous l’impulsion de Gaston Gallimard, les Entretiens avec le professeur Y, où il se taille un échange sur mesure mais sans faux-fuyants. « “Vous jouez pas le jeu !”… qu’il concluait… il me reprochait rien… mais quand même !… il est mécène, c’est entendu, Gaston… mais il est commerçant aussi, Gaston… je voulais pas lui faire de peine, je me suis mis à rechercher, dare-dare, sans perdre une minute, quelques aptitudes à “jouer le jeu”… […] J’ai compris illico presto […] que “jouer le jeu”, c’était passer à la Radio… toutes affaires cessantes !… d’aller y bafouiller, tant pis ! n’importe quoi !… mais d’y faire bien épeler son nom cent fois ! mille fois !… que vous soyez le “savon grosses bulles”… ou le “rasoir sans lame Gratoulliat”… ou “l’écrivain génial Illisy” !… la même sauce ! ».

Lucide et acerbe confidence, cette œuvre aux allures testamentaires, l’un des derniers textes paru du vivant de Louis‑Ferdinand Destouches, alias Céline, n’épargne aucun sujet : son enfance, passage Choiseul, « élevé dans une cloche à gaz » par une mère dentellière et un père correspondancier, licencié ès lettres, son « pèèère » ; sa pratique de la médecine et son pacifisme, car ses livres sont faits pour lutter contre la violence ; son antisémitisme ; l’écriture et le style : « L’émotion ne peut être captée et transcrite qu’à travers le langage parlé… le souvenir du langage parlé ! et qu’au prix de patiences infinies ! de toutes petites retranscriptions !… » ; sa conception de la littérature : « Le roman n’a plus la mission qu’il avait et n’est plus un organe d’information. […] je crois que le rôle documentaire et même psychologique du roman est terminé. Voilà mon impression. C’est une impression. Eh bien, qu’est-ce qu’il lui reste ? Eh bien, il ne lui reste pas grand-chose : il lui reste le style. ».

Marc‑Henri Lamande, devenu intime de l’œuvre de l’auteur du Voyage au bout de la nuit, invité de la Société d’études céliniennes à l’abbaye d’Ardenne, près de Caen, réalise une performance d’acteur remarquable. Il parvient avec brio à incorporer chacune des scories délicieuses de la langue de Céline, à mouvoir son corps et à maîtriser sa diction avec le même embarras, la même tonalité nasillarde et aigre. Comédien exceptionnel, il tient une heure durant, dans la semi-pénombre, le public parfaitement attentif et réactif, à l’écoute de l’humour de Céline… ou plus justement de son emportement, de ses jugements lapidaires, de son cynisme d’une noirceur à faire rire. Marc‑Henri Lamande partage avec Céline l’intelligence du texte. Il y ajoute celle du corps, qu’il maîtrise magnifiquement. 

Cédric Enjalbert


Dieu, qu’ils étaient lourds… !, de Louis‑Ferdinand Céline

Rencontre théâtrale et littéraire avec Louis‑Ferdinand Céline

En votre compagnie • 101, avenue du Général‑Leclerc • 75685 Paris cedex 14

04 90 86 96 28

communication@envotrecompegnie.fr

Conception, adaptation et mise en scène : Ludovic Longelin

Avec : Marc‑Henri Lamande

Et, en alternance, Ludovic Longelin ou Régis Bourgade

Voix off : Véronique Rivière

Photo : © Maelstaf

La Luna • 1, rue Séverine • 84000 Avignon

Réservations : 04 90 86 96 28

Du 8 au 29 juillet 2010 à 18 h 35

Durée : 1 h 10

Reprise à Paris, au Lucernaire, à partir du 15 septembre 2010, à 19 heures

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