« Djihad », d’Ismaël Saidi, les Feux de la rampe à Paris

« Djihad » © Rabgui

Explosif

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

Ismaël Saidi raconte le djihad comme une grande vadrouille et répond aux milices par la malice : une victoire sur le front de l’humour.

Qu’on se le dise, ce monsieur ne vient pas du cénacle du théâtre. Un peu comme Pasteur qui avait échoué à son premier baccalauréat de sciences, Einstein qui avait raté le concours de l’École polytechnique de Zurich, il arrive que des individus qui n’entrent pas dans les cases académiques deviennent des maîtres dans le domaine qui leur semblait fermé. L’explication est toujours la même : n’étant pas des spécialistes diplômés, ils osent des questions que personne ne pose, ils ont un regard libre de toute œillère. Adolescent musulman pratiquant tenté par la guerre sainte en Afghanistan, puis fonctionnaire de la police belge, Saidi n’avait à peu près aucune raison d’évoluer un jour en dramaturge. Ce n’est pas parce qu’il voulait gagner un concours de conservatoire ou remporter un prix littéraire, ce n’est pas en pensant aux plateaux télé ni à Molière, César ou Oscar, que cet homme de terrain a écrit cette pièce 1. C’est juste un garçon porté par son sujet, habité par la grande question de sa vie, toujours la même : comment désamorcer la haine, la sienne autant que celle des autres ? Par la force de l’actualité, son interrogation est devenue celle de Monsieur Tout-le-Monde, il n’est que de regarder, dans la salle, la diversité du public.

Djihad pose des questions bizarres, donc, à commencer par celle‑ci (je n’en révélerai qu’une, il ne faut pas gâter l’effet de surprise) : qu’y a‑t‑il dans la trousse de toilette d’un gars qui part en Syrie, pour mourir en martyr ? Car si Dieu est une belle idée générale, le diable est dans les détails. De question en question, le décalage entre la noblesse des idéaux et l’incohérence des réponses aux problèmes concrets du quotidien fait naître un comique irrésistible. Tout le monde, musulmans, chrétiens, juifs, bouddhistes, hindouistes, athées, anticléricaux ou pratiquants, est mort de rire. Les blagues sont simples, ni littéraires ni philosophiques, mais elles font mouche à chaque fois, parce qu’elles procèdent du même ressort : le regard du naïf sur la comédie des personnages qui détiennent l’autorité. C’est un spectacle populaire, plus proche des shows de Djamel Debbouze que des contes de Voltaire, même si l’auteur de Candide n’aurait probablement pas renié une forme de paternité sur ce texte. Car de gag en vanne, de sourire en crampe de zygomatiques, on glisse du superficiel au sérieux, et le franchement bouleversant affleure souvent puis finit par s’imposer.

Le road-movie d’une pièce pas comme les autres

Le spectacle a été créé à la fin de 2014 dans une salle des quartiers populaires bruxellois, bien avant que Molenbeek ne devienne si tristement et mondialement célèbre. Importé cette année en France, il est à Paris jusqu’à la fin du mois de décembre, porté par une nouvelle équipe d’acteurs qui semblent à l’aise dans leurs personnages comme s’ils les habitaient depuis deux ans. Particulièrement touchant, dans le rôle de Reda, le candide de service, est le comédien Adel Djemaï, qui manie incroyablement bien l’expressivité de son visage. Le décor et les costumes sont réduits au minimum, les accessoires sont de pacotille, le tout ponctué par une vidéo grisouille à pleurer, mimant à la perfection la laideur des faubourgs, de Bruxelles ou de Homs (là, on n’est plus chez Voltaire mais chez Brel). D’une manière générale, on a le sentiment que tout, dans ce spectacle, a été pensé pour le voyage, pour l’émigration, pour le déménagement express. Il y a une sorte d’inconfort matériel sur cette scène, qui, en fin de compte, colle parfaitement au sujet. L’impression de n’être nulle part chez soi : telle est peut-être la clé de cette drôle de guerre à laquelle personne ne comprend rien, à commencer par les combattants eux-mêmes. La petite escouade d’artistes qui se balade depuis deux ans et pendant deux heures autour de cette pièce-évènement nous invite à pratiquer la bienveillance comme seule manière de s’enraciner. On ne peut pas tuer le mec avec qui on a partagé un sandwich et une tranche de rire. 

Élisabeth Hennebert

  1. Le texte est publié depuis peu : Ismaël Saidi, Djihad, la pièce, éditions La Boîte à Pandore, 2015.

Djihad, l’Odyssée tragi‑comique de trois Bruxellois qui partent en djihad, d’Ismaël Saidi

Avec : Florian Chauvet, Adel Djemaï, Elmi Dridi et Fayçal Safi

Photos : © Rabgui

Les Feux de la rampe • 34, rue Richer • 75009 Paris

Réservations : 01 42 46 26 19

Site du théâtre : http://www.theatre-lesfeuxdelarampe.com

Métro : ligne 7, station Cadet ou lignes 8/9, station Grands-Boulevards

Jusqu’au 31 décembre 2016, les jeudi, vendredi et samedi à 19 h 45 et les dimanches à 16 heures (sauf le 13 novembre à 15 heures)

Durée : 1 h 30 sans entracte

28 €, 20 € et 10 €

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