Miraculeux Dr Nest !
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Savant mélange de théâtre masqué et de clown sans parole, « Dr Nest » mêle l’humour au tragique pour raconter la fragilité des hommes en sondant les profondeurs de l’âme avec délicatesse. Un spectacle tout public sur la folie, pétri de tendresse et de poésie.
Inspirée par des histoires paradoxales appartenant au domaine de la neurologie, Familie Flöz ouvre les portes d’un établissement psychiatrique et nous révèle les mondes étranges où évoluent ses habitants et son personnel. Remplaçant du directeur, le Dr Nest découvre les phénomènes qui affectent ses patients : dédoublements de la personnalité, phobies, obsessions, démons, chimères…
Sa méthode pour soulager leurs maux ? Des jeux tactiles et l’utilisation d’objets, ainsi que l’art thérapie. La musique n’adoucit-elle pas les mœurs ? En démontant les mécanismes humains, en s’intéressant à leurs rouages, quitte à y mettre un grain de sable, le Dr Nest fait des miracles. Enfin, l’écoute et l’empathie, jusqu’à la fusion avec ses patients, contribuent grandement à sa réussite. Sauf que celui-ci menace sans cesse de basculer dans une autre dimension. Ça ne tourne vraiment pas rond !
Le collectif s’est inspiré du neurologue Oliver Sacks pour construire une intrigue qui se déroule au fil de projections neuronales et de confusions mémorielles. Un terreau fertile pour ces artistes sensibles à la fragilité humaine. La ligne étroite qui sépare le normal de l’anormal, les actes conscients des pulsions, les personnes saines des personnes malades se brouille effectivement peu à peu. Les blouses sont interchangeables et vite transformées en camisoles.
De quoi perdre la tête !
Pas étonnant que cette troupe, fondée voici une vingtaine d’années, voyage dans le monde entier ! Déjà, l’absence de texte permet de se produire partout, sans le barrage linguistique. Ensuite, le théâtre de masques, trop rare sur nos scènes, suscite l’engouement. Souvent cantonné aux traditions (théâtre japonais, balinais, africain, etc.), au théâtre antique ou à la commedia dell’arte, il a su prouvé que son langage singulier pouvait être source d’innovations, comme au Théâtre du Soleil , avec son grand maître Erhard Stiefel, ou dans les mises en scènes inoubliables de Benno Besson.
En outre, il comporte l’intérêt d’un jeu physique, car le port d’un masque aux expressions figées implique un travail très subtil, notamment sur les postures et l’énergie. Personnage à part entière, le masque détermine chaque mouvement, mais c’est l’acteur qui écrit la scène avec son corps. Justement, chez Familie Flöz, la technique est particulièrement aboutie. Il existe une vraie symbiose entre le masque et son interprète. Ici les costumes sont parfaits, les accessoires bien choisis, chaque détail est soigné. Et surtout les réalisations en papier mâché sont particulièrement réussies, avec ces nez protubérants, ces mentons fuyants, ces regards expressifs. Des gueules quoi ! Et aussi des œuvres à part entière, au style bien reconnaissable.
Les comédiens sont vraiment excellents, surtout qu’ils sont seulement cinq pour camper cette galerie de personnages hauts en couleurs ! Un tour de force, mais aussi un défi relevé grâce à une mise en scène bien rythmée et efficace. Le quotidien, ponctué par les rituels de chacun, est propice à des numéros de clowns, soutenus par d’excellents morceaux de musique.
Le décor (des panneaux mobiles qui redessinent sans cesse l’espace), également support à projections vidéo, donne libre cours aux hallucinations. Il donne à voir les entrées (ou sorties) vers la folie. En devenant de plus en plus mouvants, les murs de la villa Blanca symbolisent magnifiquement le moi qui vacille.
Loin du monde et hors du temps, cet univers foutraque, émaillé d’accessoires d’un autre temps, comporte un charme désuet. Pourtant, le sujet demeure bien actuel. C’est effectivement un bien bel hommage au travail de certains soignants et à ce que les fous ont à nous apprendre d’eux et de nous-mêmes, de notre humanité. Un propos qui fait fi des étiquettes et de l’enfermement, au sens large. Un spectacle remarquable. ¶
Léna Martinelli
Dr Nest, de Familie Flöz
Avec : Fabian Baumgarten, Anna Kistel, Björn Leese, Benjamin Reber, Mats Suethoff
Mise en scène : Hajo Schüler
Co-mise en scène : Michael Vogel
Masques : Hajo Schüler
Musique : Fabian Kalbitzer
Décor : Rotes Pferd (Christian Eckelmann, Felix Nolze)
Costumes : Mascha Schubert
Conception sonore : Dirk Schröder
Lumières : Reinhard Hubert
Directeur de production : Gianni Bettucci
Équipe de production : Jonas Beckmann, Dorén Grafendorf
Tout public, à partir de 8 ans
Durée : 1 h 25
Monfort • Grande salle • 106, rue Brancion • 75015 Paris
Du 21 janvier au 2 février 2020, du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 16 heures
Réservations : 01 56 08 33 88 ou en ligne
De 5 € à 28 €
Tournée :
- Le 11 mars, au Théâtre municipal de Fontainebleau
- Le 18 mars, au Théâtre Victor Hugo Bagneux