Une rose dans le jardin de Merkel
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Nouvelle création de Thomas Poulard, « Dreck » détonne, tant le metteur en scène nous avait habitués à des spectacles foisonnants, provocateurs et joyeusement insolents. Le solo qu’il propose cette fois est d’une autre tonalité.
Plus question de vision décalée ! Dreck donne la parole à un Irakien clandestin réfugié en Allemagne, terre promise. Le propos est grave, le point de vue intimiste, puis il glisse vers le politique et peut-être aussi vers la folie. Car Sad nous joue, et se joue une sinistre comédie (voire même plusieurs) : il endosse des rôles, s’invente une individualité, à commencer par son prénom. S’il l’a modifié, c’est sans soute à cause de la consonance anglaise qui ferait de lui un immigré acceptable. À ses yeux en tout cas. Sad est l’un de ces vendeurs de roses anonymes qui vont de restaurant en restaurant pour tenter de survivre.
La mise en scène parvient à nous faire entrevoir l’itinéraire de cet homme qui tente de se faire accepter : si un brouhaha de gare accueille les spectateurs lors de leur entrée dans la salle, le noir et le silence se font lorsque Sad apparaît, sur la pointe des pieds pourrait-on dire, le débit lent, la voix atone, presque imperceptible, comme s’il avait peur de déranger.
Progressivement, la lumière revient, la voix prend de l’ampleur. Le comédien qui endosse ce rôle changeant, Mathieu Besnier, se met à exister, mais c’est pour mieux semer le doute. Il fera sans arrêt l’aller-retour entre un fauteuil crapaud tendu de velours en fond de scène, sorte de nid de repli, et le bord du plateau où il interpelle le public selon une diagonale qui ressemble fort à une route ou un tunnel.
Toute cette première partie laisse une impression de malaise. Sad joue devant nous « le bon Allemand », l’élève plein de gratitude pour un pays qui l’accueille… « du bout des doigts, du bout des lèvres ». Le public se laisserait presque prendre à ces mensonges, mais sent en même temps quelque chose d’artificiel.
Les travestissements de la réalité
Puis, brusquement, tout bascule, comme a basculé le regard du peuple allemand sur les réfugiés. Il n’aura fallu qu’une étincelle pour révéler au grand jour la tentation du repli, la méfiance vis-à-vis de l’autre, le pauvre, l’étranger, le pestiféré, les relents d’une idéologie sur laquelle on pensait que l’Allemagne avait non seulement tiré un trait, mais réfléchi, et assumé ce passé. De cela il n’est fait nullement mention. Et c’est là que le texte de Robert Schneider est intéressant.
Le spectateur entend les discours de haine sourdre des propos de Sad, en vérité Sadam, prénom honni par ceux qui ne veulent pas de lui. Cette haine, cette méfiance, il les dirige contre lui-même, prenant sur lui la faute d’avoir fait naître l’animosité. Syndrôme de Stockolm ? Cette seconde partie, glaçante, est interprétée avec beaucoup de justesse par le comédien : à travers nous, c’est la détresse et le désespoir de Sad qui s’expriment, et, en filigrane, le sentiment que quelque chose d’irréconciliable se fraie un chemin dans les consciences. ¶
Trina Mounier
Dreck, de Robert Schneider
Mise en scène : Thomas Poulard
Avec : Mathieu Besnier
Lumières : Pierre Langlois
Son : Benjamin Furbacco
Scénographie : Benjamin Lebreton
Photo : © ciedubonhomme
Théâtre des Clochards Célestes • 51, rue des Tables Claudiennes • 69001 Lyon
Du 21 au 26 novembre 2018 à 19 h 30
Réservations : 04 78 28 34 43
Tarif de 9 € à 12 €
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