« En attendant Godot », de Samuel Beckett, Théâtre de Clermont‐l’Hérault

En attendant Godot © Denise Oliver-Fierro

Fulgurant Beckett

Par Dominique Dessein
Les Trois Coups

Sur la scène du Théâtre de Clermont-l’Hérault, la Cie Interstices joue « En attendant Godot » de Samuel Beckett, entre clownerie déjantée et interrogation métaphysique, comme une danse toujours frénétique mais jamais insensée.

Celui qui parle le mieux de l’œuvre de Samuel Beckett, c’est sans doute l’auteur lui-même : « Je n’ai pas d’idée sur le théâtre. Je n’y connais rien. Je n’y vais pas. […] Je ne sais pas plus sur les personnages que ce qu’ils disent, ce qu’ils font et ce qui leur arrive. » (Lettre à Michel Polac, janvier 1952). En attendant Godot n’échappe bien entendu pas à cette règle : simplicité des didascalies, pureté du décor, prosaïsme apparent de la phrase, vacuité de l’action… sont autant de caractéristiques du théâtre de Samuel Beckett. Elles pourraient l’apparenter à la fable. Elles le lient à la philosophie, car ses personnages errent souvent dans un monde qu’ils ne comprennent plus et qui rend toute forme d’action dérisoire. Par conséquent, leurs « histoires », si l’on peut les appeler ainsi, font apparaître ces personnages comme des clowns, acteurs d’un temps qui n’avance pas, bloqués dans l’attente d’un Godot qui ne viendra pas.

Dans la mise en scène de Marie Lamachère, on reconnaît les éléments habituels de la pièce si célèbre de Beckett : l’arbre, seul élément de décor, est placé dans la salle, près des spectateurs, ce qui induit de la part des acteurs des déplacements et un jeu très proche du public. L’espace scénique est vide, mais une vidéo projette en fond de scène l’image d’un arbre, du temps qui passe et, dans l’acte II, de la visite d’invités inattendus… Les personnages eux-mêmes sont représentés dans des costumes traditionnels, que les didascalies de l’auteur fixent très précisément : chapeaux et chaussures pour chacun d’entre eux, valises, siège et fouet pour Pozzo et Lucky.

Magnifique Estragon

Au début du spectacle, le jeu des acteurs qui incarnent Vladimir et Estragon est marqué par l’exagération comique. Le volume des voix, l’énergie des corps ancre la pièce dans une atmosphère clownesque un peu outrée. Ce choix peut surprendre ou décevoir, tellement il semble évident, mais l’habileté d’Antoine Sterne (Estragon) et de Gilles Masson (Vladimir) fait vite oublier la grosseur du trait. En effet, si le spectacle est particulièrement réussi, c’est bien grâce aux protagonistes de la pièce, « clochards célestes » qui passent leur temps à attendre sans pouvoir échapper au destin qui leur est assigné par l’auteur démiurge.

Antoine Sterne, en particulier, se démène comme un diable, se plaignant, interrogeant son camarade, tentant des réponses à leur ennui commun. Il saute, danse, pleure avec un naturel époustouflant. Sa spontanéité est sa force, son corps, toujours sur le fil du déséquilibre, un atout indéniable. Il est l’homme par excellence, celui qui chute et se relève en espérant partir vers un ailleurs moins malheureux, celui qui souffre mais qui n’en garde aucun souvenir, celui qui a peur et qui préfère fuir – en restant là.

De nouvelles fraternités

La pièce, sans réelle avancée dans l’action, amuse cependant un public charmé par l’enchaînement des répliques savoureuses. Le jeu entre les deux duos, Vladimir-Estragon et Pozzo-Lucky, opère à merveille, car les acteurs sont talentueux et généreux. Leurs danses font figure de combats contre l’inéluctabilité des choses et des êtres. Ils réussissent donc à instaurer une complicité avec le public, qu’il s’agisse de répliques humoristiques qu’ils échangent avec une jouissance communicative, ou de tirades plus profondes, instants d’éternité où les fêlures apparaissent.

Le spectacle joue avec nos repères et notre habitude du théâtre normé pour détourner les règles du jeu et surprendre le spectateur. Le cadre présenté, les personnages qui échangent sur scène, les actions mises en jeu, les thèmes abordés sont en décalage avec ce qu’on pourrait attendre de la relation Vladimir-Estragon, relation clownesque et pourtant étrange, pleine de paradoxes et marquée par l’obsession de la temporalité. L’action, à l’origine de l’art dramatique (son étymologie grecque) semble bien absente de ce faux vaudeville qui met en scène quatre misérables en prise avec la réalité de leur tragique existence.

Le rythme est soutenu, l’adresse à la salle pertinente et efficace. Elle est belle, la sincérité de ces pauvres hères, qui, coincés sur scène, s’échinent à faire quelque chose, pour que le temps passe plus vite. Métaphore de la vie, métaphore du théâtre ? En tout cas, un bien beau pari réussi ! 

Dominique Dessein


En attendant Godot, de Samuel Beckett

Éditions de Minuit

Cie Interstices / Théâtre de la Valse

http://www.compagnie-interstices.com/

Mise en scène : Marie Lamachère

Avec : Renaud Golo, Michaël Hallouin, Gilles Masson, Antoine Sterne, Damien Valéro

Lumières et régie : Gilbert Guillaumond

Costumes : Marie Delphin

Photos : © Denise Oliver‑Fierro

Théâtre de Clermont-l’Hérault • allées Roger-Salengro • 34800 Clermont-l’Hérault

Réservations : 04 67 96 31 63

Site du théâtre : www.theatreclermontlherault.fr

Jeudi 18 avril 2012 à 19 heures

Durée : 3 heures (dont 30 minutes d’entracte)

12 € | 8 € | 5 €

Tournée 2013-2014 :

  • la Halle aux Grains, scène nationale de Blois
  • espace Malraux, scène nationale de Chambéry et de la Savoie

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