Entretien avec Laurent Fréchuret, metteur en scène

Laurent Fréchuret © D.R.

« Je suis un obsédé textuel »

Par A. D.
Les Trois Coups

Laurent Fréchuret nous parle de son approche du théâtre à l’occasion du Off d’Avignon, où il met en scène « En attendant Godot » de Samuel Beckett.

Que peuvent encore nous apprendre des auteurs tels que Shakespeare ou Beckett ?

Ce que l’on peut apprendre, c’est à travailler et à faire du théâtre. Une œuvre, qu’elle ait été écrite pas Shakespeare ou par un auteur de vingt‑cinq ans, c’est la même chose. Un texte que l’on trouve génial est une œuvre vivante à chaque fois. En ce sens, Shakespeare est un jeune auteur vivant. Une œuvre est forcément actuelle puisqu’on y travaille au présent. Ce que j’aime chez Beckett, et particulièrement dans En attendant Godot, c’est qu’il y a un message éminemment politique : on ne va pas se pendre, on ne va pas déprimer, on va rêver ensemble d’un autre monde. C’est un peu à l’image de l’auteur : lorsqu’il écrit Godot, en 1948, il est aussi en train d’aider à reconstruire le village de Saint-Lô en Normandie. Au début, je ne voulais pas refaire encore un Beckett, qui est un auteur sur lequel je travaille depuis vingt-cinq ans. Puis je me suis mis à le relire, et j’ai trouvé ça incroyable.

Quel est l’intérêt de se saisir d’un auteur et d’explorer l’intégralité de son œuvre ?

Je suis un peu un obsédé textuel. Beckett, lorsque j’avais vingt‑cinq ans, a été une explosion nucléaire pour moi. J’ai tout lu. Idem pour Artaud, j’ai lu les vingt‑huit volumes, pour Burroughs les vingt‑quatre romans, et pour Cioran les quatre mille pages. En définitive, je ne connais pas beaucoup de choses, mais celles que je connais, je les ai déjà épuisées. Je suis comme quelqu’un qui mangerait toujours le même plat, mais qui adorerait ça.

Vous prônez les vertus de l’insouciance, et même de l’ignorance, dans votre travail de création et de mise en scène. Après un parcours aussi dense que le vôtre, est-il encore possible d’avancer « à tâtons » ?

Quand on a commencé à avancer « à tâtons », il faut continuer. Il y a dans le théâtre un travail inconscient et intuitif. J’aime dire que je fais des notes « d’intuition », alors que tout le monde parle de note d’intention. Il faut laisser venir le mystère. Parfois, c’est complètement raté, mais je continue, parce que je suis quelqu’un de joyeux qui aime prendre des risques. À l’âge de dix‑huit ans, j’ai rencontré Jean Dasté, à Saint-Étienne, qui en avait quatre‑vingt onze. Je lui ai fait part de mon admiration, et lui ai demandé de me parler de théâtre. Plus tard, il m’offrira un petit livre intitulé le Théâtre et le Risque, qui étaient pour lui deux choses indissociables. Il y a tellement de gens qui estiment avoir la science infuse que j’aime cultiver ce que j’appelle « mon ignorance infuse ». C’est une phrase qui est pour moi comme un manifeste. Je dis cela parce que j’adore l’art brut, et que si l’on réfléchit, les artistes d’art brut au théâtre sont des gens qui savent se mettre en état de naïveté.

Parlez nous de ce que vous appelez les « arts frères » du théâtre, tels que le cinéma ou la musique, notamment chez Beckett.

Beckett disait que le théâtre était une histoire de symbiose, ce qui est une idée intéressante, car le sens premier signifie que deux organismes ont besoin l’un de l’autre pour survivre, et vont devoir trouver un arrangement ensemble. Il y a cela chez Beckett, qui a écrit beaucoup de burlesque, en s’inspirant de Charlie Chaplin ou de Buster Keaton. Il adorait le rythme de la vie. La musique et l’image sont au moins aussi importantes chez lui que la littérature et la poésie.

Votre travail de metteur en scène se fait-il au détriment de votre travail d’écriture ?

Lorsque je dirigeais le Théâtre de Sartrouville, je devais être attentif à tout ce qui passait autour, ainsi que monter des pièces et des projets, ce qui faisait déjà deux postes à temps plein. Le troisième est celui de poète, et un poète a besoin de temps pour rêver, nager, et aller voir ailleurs ce qui se passe. C’est ce que je fais aujourd’hui, à Saint-Étienne, qui est ma base, où je peux imaginer et écrire la suite. Je rêverais d’avoir un petit théâtre, mais pour le moment je suis très heureux d’être nomade à Saint-Étienne.

Le réveil du Théâtre de l’Incendie, après avoir dirigé un centre dramatique national pendant neuf ans, correspond-il à une volonté de terminer un projet laissé en suspens ?

C’est vraiment la suite de ma vie, comme Sartrouville a aussi été une période de ma vie, avec une mission, celle de diriger un outil énorme, avec une cinquantaine de personnes et une population passionnante. Nous avons réalisé non moins de cinquante‑huit créations en neuf ans ! J’ai été à l’origine d’une dizaine de mises en scène, mais les autres ont également demandé beaucoup de travail, puisqu’il a fallu réunir les auteurs, monter, produire et faire tourner les pièces. Au bout de neuf ans, j’ai senti qu’il fallait que je reprenne un risque, plutôt que de devenir un petit notable du théâtre. J’aurai pu postuler à la direction d’un théâtre plus gros, mais j’ai eu besoin de l’écriture, et de me ressourcer.

Le public doit pour vous être plus qu’une simple assistance, il doit non seulement imaginer, mais aussi créer, être acteur, à l’instar des chantiers théâtraux lancés au Théâtre de Sartrouville. En quoi le spectateur a-t-il un rôle à jouer ?

Les spectateurs sont des passagers clandestins. Pourquoi sont-ils venus ? On ne sait pas. Il y a un mystère autour de cela, jamais je ne voudrais faire de travail statistique pour connaître davantage le public et pouvoir lui vendre des choses prétendument adaptées à lui. En revanche, j’ai pu lancer des annonces au public afin de rencontrer des gens, dans le but de raconter une histoire. L’obsession est toujours la même, que les gens soient professionnels ou amateurs : travailler et partager la construction d’un ensemble composé de plusieurs corps, de plusieurs âges et de conditions culturelles et sociales différentes, afin de recréer à chaque fois une petite démocratie. Inventer une histoire ensemble et la faire partager avec d’autres gens, c’est une petite pierre apportée à l’édifice du « vivre-ensemble ». 

Propos recueillis par
A. D.

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En attendant Godot, de Samuel Beckett

Théâtre de l’Incendie • 6, rue François Gillet • 42000 Saint-Étienne

http://www.theatredelincendie.fr/

administration@theatredelincendie.fr

04 77 47 83 57

lfrechuret@hotmail.com

06 82 42 27 76

slimane.mouhoub@theatredelincendie.fr

06 82 16 35 49

Mise en scène : Laurent Fréchuret

Avec : Jean-Claude Bolle-Reddat, Maxime Dambrin, David Houri, Vincent Schmitt

Scénographe : Damien Schahmaneche

Créateur lumière : Franck Thevenon

Costumière : Claire Risterucci

Maquillage, coiffure : Françoise Chaumayrac

Assistante à la mise en scène : Caroline Michel

Régie générale et lumière : Rosemonde Arrambourg

Régisseur plateau : Pierre Langlois

Photo : © D.R.

Théâtre des Halles • rue du Roi-René • 84000 Avignon

Salle du Chapitre

Réservations : +33 (0)4 32 76 24 51

Du 5 au 26 juillet 2015 à 19 h 30, relâche le 14 juillet

Durée : 1 h 55

Tarifs : 22 € et 15 €

À partir de 15 ans

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