Entretien avec Marie Piemontese, auteure, metteure en scène, à propos de son projet « les Lignes imaginaires »

Marie Piemontese © Cici Olsson

« Je suis une nomade culturelle » (épisode 2)

 

Par Lorène de Bonnay
Les Trois Coups

Comédienne, auteure, metteure en scène et pédagogue, Marie Piemontese trace son propre sillon et chemine en ce moment dans un projet rhizome, « les Lignes imaginaires ».

Lire la première partie de cet entretien : « Je suis une nomade culturelle »

En quoi consiste cet entrelacs de Lignes imaginaires ?

C’est un vaste questionnement sur le thème des frontières, de la migration. Il recouvre toutes les actions que je déploie, seule ou en lien avec les publics. Il a débuté par une pièce narrative, « classique », Qui déplace le soleil (présentée en janvier dernier à l’Espace 1789 à Saint-Ouen, jouée à Foix en mars, et reprise à la rentrée1). Mon quartier, situé entre Barbès et la Chapelle, derrière la Goutte d’or, m’en a inspiré l’écriture ; de nombreux couturiers africains y vivent. Or, le premier personnage qui m’est venu à l’esprit est un homme à la machine à coudre. Cette image aurait pu donner lieu à une performance, une installation. Mais doucement, des textes ont commencé à s’écrire sur cet homme, sur le passage des frontières. Et puis il y a eu tous ces récits tragiques de migrants naufragés. Je me suis alors demandé comment parler d’un sujet si présent dans l’actualité et abordé de façons si diverses. Après une pause d’un an, j’ai raconté l’histoire de deux femmes, dans une maison qui représente à la fois un abri et un lieu de passage. L’une cherche à louer une chambre pour s’éloigner d’une grande ville : elle a besoin d’une sorte de retraite pour écrire. Elle est hantée par le personnage de la machine à coudre – sans doute son père – et raconte des histoires de migration. Elle est accueillie par une logeuse bizarre, mal en point, peu investie dans sa demeure. Les rapports entre elles se dégradent. Une des femmes disparaît étrangement… J’ai réécrit la fin pour les prochaines représentations.

Pourquoi ce titre ?

Les migrants quittent souvent le sud pour aller vers le nord. La pièce évoque des communautés qui viennent du soleil et veulent l’emmener avec eux. Pour formuler les choses un peu grossièrement, je me suis dit : « et si on déplaçait le soleil au lieu de déplacer les gens ? ». Le titre est aussi une référence à la fin de la Divine Comédie de Dante (« c’est l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles »). J’aimerais que le public reçoive cette onde positive.

Ne pas faire œuvre, peut-être, mais culture

Revenons au projet global.

La pièce a soulevé beaucoup de problématiques autour des frontières. Des amis ou voisins m’ont envoyé des documents, raconté une expérience ou donné un point de vue. Je me suis dit que je ne pouvais en rester là, qu’il fallait interroger des gens, correspondre, parler. Je voulais que la notion de frontière soit présentée sous forme de questions, de différentes façons. On vit une époque où de nombreuses frontières sont traversées. Pourtant, certaines sont devenues plus que jamais infranchissables. Je rends juste compte de ce paradoxe en récoltant des paroles. Un matériau se constitue, mais je ne suis pas sociologue. Je me laisse rencontrer, je me laisse être nomade, improviser.

Une pièce intitulée Une ligne imaginaire est aussi annoncée sur votre site, non ?

Tout à fait, je l’écris en ce moment. Seulement j’ignore si elle se concrétisera. Plus largement, je ne sais pas si le projet donnera lieu à une représentation scénique artistique aboutie, à une série d’objets, ou sera le fruit d’échanges tissés avec différents groupes. Si l’ensemble ne fait pas œuvre, il fait culture, par croisements, échanges et questionnements. Ce mot de « culture » désigne aujourd’hui l’ensemble des activités culturelles qu’une certaine partie de la société pratique. Or, tout le monde a une culture, d’où qu’il vienne, même s’il n’a jamais mis les pieds dans un théâtre. La culture consiste peut-être alors à tout remettre à plat, très modestement, à repartir de la rencontre, et à se demander quelle histoire on peut partager ensemble, dans notre société composite, au présent, et pour l’avenir ?

Marie Piemontese © Cici Olsson
Marie Piemontese © Cici Olsson

Pouvez-vous nous donner des exemples d’actions en lien avec le public, de rencontres ?

Maintenant, j’entame un autre projet avec la scène nationale de Blois : il s’agira d’élaborer des correspondances écrites, visuelles et sonores, de migrants, d’abonnés du théâtre de Blois et d’artistes, et d’aboutir à une restitution et à l’édition d’un recueil en fin de saison. Sinon, cette année, j’ai travaillé in situ avec des élèves du collège Joséphine Baker de Saint-Ouen. Fin septembre, j’ai fait intervenir la comédienne et danseuse Aurore Déon (elle joue dans Qui déplace le soleil). Nous avons créé une performance qui a donné lieu à des échanges et des dessins. J’ai abordé le thème de la frontière avec une classe de 4e sous forme de discussions, de débats, d’improvisations suivies de mises en situation, d’exercices d’écriture. Enfin, avec Fabienne Laumonier, réalisatrice radio avec laquelle je travaille, nous avons abouti de façon plus « officielle » à un montage de témoignages enregistrés à partir d’un objet cher de leur choix. Chacun évoquait son trajet (de Pornic ou d’Alger à Saint-Ouen) et traçait sa ligne imaginaire. Ces témoignages ont été déposés aux archives de Saint-Ouen et au fonds de ressources du musée de l’Immigration. Les adolescents ont été reçus et félicités. Nous avons également fait une création sonore intitulée Tout autour de Saint-Ouen. Ces œuvres sont sur Arte audio.

 

Vos histoires s’appuient-t-elle sur des échanges, des témoignages (comme Générations)2 ?

Pas nécessairement. Disons que l’intime et la rencontre avec autrui se mêlent. J’ai toujours travaillé auprès des publics, parallèlement à mon métier de comédienne. Phèdre le matin (2013) est ainsi liée à une période où je menais un projet sur la tragédie, avec un groupe de femmes amateurs, dans un théâtre. Chacune improvisait en s’imaginant être le témoin d’un événement terrible, et des histoires se constituaient sous la forme de témoignages menés par les participants. Cette forme était très intéressante. Un soir, j’ai organisé une rencontre entre Phèdre (j’avais proposé le rôle à Isabelle Lafon) et des témoins, représentés par des acteurs professionnels.

Quant à Qui déplace le soleil, elle livre une histoire intime inventée. La question des frontières traverse ma famille (je suis d’origine italienne et née en Algérie), mais cette thématique parle à tous et la pièce a nourri un projet plus ample. Le travail d’artiste est fait de grigris intérieurs, de fantasmes et du lien à l’autre. Nos imaginaires communiquent les uns avec les autres de manière diffuse et poétique ; rien n’avance dans le monde, si ce n’est ce moment traversé ensemble. 

Propos recueillis par
Lorène de Bonnay et Pierre Fort

1- Qui déplace le soleil sera jouée du 12 au 16/9/2017 à l’Échangeur Bagnolet, du 16 au 18/10 au théâtre Le Hublot à Colombes, et les 21 et 22/11 à La Halle aux grains – scène nationale de Blois.

2- Le projet « Fabrique d’histoires – Recueil de paroles » avec la ville de Morsang-sur-Orge et le théâtre de Brétigny : à partir d’une dizaine d’ateliers de paroles qu’elle conduit auprès des Morsaintois, elle écrit et met en scène Générations, pièce à quatre scènes indépendantes. En 2011, toujours à partir d’échanges avec des habitants de l’Essonne, elle réalise une suite de portraits-vidéo intitulée Nous sommes tous des personnages de théâtre.


les Lignes imaginaires, de Marie Piemontese

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