Entretien avec Marie Piemontese, comédienne dans la Compagnie Louis Brouillard créée par Joël Pommerat

Marie Piemontese © Cici Olsson

« Je suis une nomade culturelle » (épisode 1)

Par Lorène de Bonnay
Les Trois Coups

Marie Piemontese, l’une des actrices phares des pièces de Joël Pommerat, est aussi auteure depuis 2010 et metteure en scène.

Quel est votre parcours ? Comment avez-vous rencontré Joël Pommerat ?

Dans les années 1990, je suis passée par le cours Florent. Ensuite, durant deux ans, je me suis formée de façon itinérante grâce à des C.D.N. (comme Nancy ou Angers) qui proposaient des stages gratuits de deux à trois semaines. Des metteurs en scène de la programmation, plus artistes que pédagogues, sélectionnaient des acteurs et les plongeaient dans leur travail d’expérimentations. Je me souviens d’Éric Lacascade, de Solange Oswald (actrice et metteure en scène), de Myriam Tanant (metteure en scène de théâtre et d’opéra), ou de la compagnie nancéenne 4 litres 12. Joël Pommerat n’était pas proposé dans les C.D.N. C’était un jeune metteur en scène d’une trentaine d’années, quand je l’ai rencontré. Ses premières pièces avaient été programmées au Théâtre de la Main d’Or à Paris. En 1996, j’ai répondu à un appel à candidatures pour mener un projet au Hublot à Colombes : il avait fait passer une annonce dans Libération et proposait un workshop trois jours par semaine, tout un été. Il fallait lui écrire : il cherchait des « personnes humaines » pour une recherche. C’était sa formulation. J’ai été sélectionnée sur lettre et l’ai eu au téléphone ensuite. Les stagiaires devaient choisir un modèle dans la société ayant une expérience de vie peu commune. L’idée était de travailler sur des paroles brutes et d’improviser, de croiser notre propre présence et celle du modèle, non de brosser un portrait. J’ai choisi le thème de la prostitution, après avoir rencontré Nadia, en traînant dans le café Frochot à Pigalle, qui réunissait une communauté d’habitués, musiciens et prostitués. Nadia ne versait pas dans le cliché de la traite des femmes. Elle était indépendante, avait des horaires de bureau, récupérait sa fille à la crèche. Le soir, ayant quitté sa tenue extravagante, elle semblait presque plus classique que moi, à l’époque ! Jeune et émotive, j’ai présenté ce témoignage à Joël, qui m’a dit : « Je sens que tu ne bluffes pas, tu connais ces gens ; on continue à creuser ça ». Un personnage est né. Par la suite, on a pu voir des prostituées dans Treize étroites têtes, Les Marchands et La Réunification des deux Corées. Ma proposition, comme celle d’autres comédiens, a sans doute nourri l’imaginaire de Joël. Lui cherche toujours à utiliser la présence, la matière de l’acteur, pour transcender l’anecdote et inventer une épopée poétique.

Vous avez donc joué la prostituée. Quels personnages de Pommerat vous ont le plus marquée ?

J’ai souvent joué des personnages « en tailleur », qui semblent moins déglingués que les autres. La seconde fille d’Au Monde était une présentatrice télé habillée comme une prostituée, qui se croyait au-dessus de la mêlée. La sœur dans Les Marchands, la sœur et la mère dans Je tremble, déployaient aussi une argumentation pathétique. Le rôle de la mère, dans Ma chambre froide, a été bien différent. Je n’étais pas la comptable ayant une autorité sociale (incarnée par Saadia Bentaïeb), mais une employée un peu voleuse, qui profite de son enfant pour tirer au flanc et mélange tout. J’étais mère dans la vraie vie et j’avais travaillé sur l’angle de la mauvaise foi, de la malhonnêteté intellectuelle, en amont. J’ai aussi beaucoup aimé le parcours avec mon personnage d’Au Monde. C’était une mise en scène au cordeau qui m’a enrichie. Certes, le travail était difficile, il y avait énormément de texte à apprendre, mais il m’a permis de progresser. Sinon, le personnage de la mère qui fait du chantage affectif à son enfant, dans Cet enfant, est sans doute mon préféré. Cette zone affective m’interpelle.

" La réunification des deux Corées - Joël Pommerat © Elisabeth Carecchio
 » La réunification des deux Corées – Joël Pommerat © Elisabeth Carecchio

« Le plateau sait »

Comment ce travail avec lui a-t-il nourri votre propre travail, votre univers créatif d’auteure, metteure en scène, pédagogue ?

Depuis notre rencontre, Joël et moi partageons des valeurs humaines et artistiques (l’exigence, le souci de l’Autre), comme d’autres gens de cette troupe. Les années avec lui ont renforcé ma certitude que c’est le plateau qui valide, au final, la justesse du développement d’un spectacle. Ma culture théâtrale consiste plutôt à partir du plateau et à moduler le texte, qui n’est qu’un élément parmi d’autres. Joël commence par des répétitions, des recherches sur un thème, sans texte. Des bribes de scènes, des paroles, des thèses, peuvent s’écrire en amont, pas la pièce. Il travaille à partir des improvisations : il ne retranscrit pas directement des paroles, mais il écrit en tenant compte des propositions qui l’ont intéressé. Il digère, reprend des mots en biais, cisèle. Si l’acteur s’aperçoit que tel fil a été gardé dans une scène, il sait qu’il peut l’étirer. Le travail au plateau produit un dialogue plus puissant qu’une discussion qui pourrait avoir lieu en dehors. Joël saisit au vol des tentatives d’acteurs et a l’intuition de leur harmonie dans l’équilibre général. Toutefois, il existe d’autres manières de travailler : par exemple, Isabelle Lafon privilégie le texte et la rencontre au plateau s’accomplit aussi avec harmonie. De mon côté, j’ai d’abord besoin de lâcher du mou, des choses sales, de développer une pièce. Ensuite, je jette mon histoire dans l’arène et autorise des modifications.

C
omment jongler entre les deux compagnies, Louis Brouillard (Joël Pommerat) et Hana San Studio (compagnie de théâtre et cinéma créée par Florent Trochel, rejointe en 2011) ?

Je suis une nomade culturelle. Les nomades choisissent de rester dans un environnement singulier, à priori inconfortable, le désert. Pour tenir ce choix, ils doivent se déplacer. Mais ils reviennent inlassablement sur leurs traces. Ces dernières années, les créations de la compagnie Louis Brouillard se sont enchaînées, un répertoire magnifique s’est constitué, sans interruption. Jouer dans une pièce de Joël est formidable mais le temps n’est dévolu qu’à cela. Alors, il suffit de dire qu’on ne jouera pas dans Ça ira, fin de Louis pour mener d’autres projets. Bien sûr, j’ai toujours le désir de collaborer avec lui. Ainsi est née la proposition de travailler sur les Forces Vives de Ça ira. Mon lien avec la compagnie reste très fort et j’éprouverai toujours une grande joie à la retrouver à un carrefour, à cheminer avec elle.

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Propos recueillis par
Lorène de Bonnay et Pierre Fort


Site de l’artiste Marie Piemontese

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