Entretien avec Martin Faucher, directeur artistique du Festival TransAmériques, à Montréal, Canada

Martin Faucher © D.R.

« Créer des tempêtes dans les corps et les têtes »

Par Aurore Krol
Les Trois Coups

Évènement incontournable de la danse et du théâtre à Montréal, le Festival TransAmériques (F.T.A.) est un espace de soutien et de visibilité majeur pour la création artistique en Amérique du Nord. Son directeur artistique, Martin Faucher, répond à nos questions à quelques jours du lancement de cette nouvelle édition.

C’est votre première fois en tant que directeur artistique du F.T.A., quelles couleurs et orientations avez-vous souhaité donner au festival en signant cette programmation ?

La thématique qui m’habite depuis quelques années, c’est la question de la transmission. Les problématiques du temps qui passe, de l’accumulation de savoirs, mais aussi du risque de perte dans une période où on analyse le monde quasi uniquement selon un spectre économique. La place du patrimoine culturel et la manière dont on peut en faire bénéficier les jeunes générations sont donc des sujets essentiels selon moi. Aussi, quand j’ai vu le spectacle Dancing Grandmothers de la Sud-Coréenne Eun-me Ahn, qui réuni trois générations sur scène, j’ai vraiment voulu l’avoir en ouverture du festival.

Quand nous nous étions rencontrés en clôture du F.T.A. 2014, vous disiez souhaiter faire jouer des spectacles ailleurs que dans les lieux dédiés. Cette année vous programmez Plaza, une performance dans un centre commercial…

Effectivement, j’estime qu’il est très important que les artistes soient dans différents lieux, pas uniquement des espaces confortables entièrement pensés pour le spectacle. En ce sens, le travail de Nini Belanger [au sein d’un centre commercial qui est aussi un espace de socialisation pour les primoarrivants constituant la majorité de la population de ce quartier, N.D.L.R.] correspond à mon désir de toucher le public où qu’il soit, d’inscrire les créateurs dans un tissu social le plus large possible.

Plaza, mais aussi Polyglotte d’Olivier Choinière et Alexia Bürger, traitent de la problématique de l’immigration et de l’accueil réservé à l’étranger. C’est une thématique que vous souhaitiez souligner ?

En fait, ce sont les artistes et leurs propositions qui me font réfléchir aux liens qui se tissent entre les spectacles. Des choses vont se recouper spontanément à la lecture des projets, sans forcément que les artistes aient connaissance des sujets d’étude de leurs collègues. Savoir qui nous côtoie, qui sont nos voisins et quelles relations nous entretenons avec eux, c’est quelque chose de très fort au Québec, et particulièrement à Montréal. Cela passe aussi par l’identité de la langue et cela permet de définir la communauté à laquelle nous appartenons.

Est-ce qu’il y a des spectacles qui, d’après vous, agiront comme des pivots de cette programmation, ou pour lesquels vous avez des attentes particulières ?

Une fois que j’ai rencontré l’artiste, dialogué avec lui, que le processus s’est mis en place, je n’ai pas d’attente préconçue, en dehors de l’espoir d’un éblouissement, d’un choc… Mais s’il devait y avoir un spectacle particulièrement signifiant, ce serait certainement By Heart de Tiago Rodrigues. Parce qu’un groupe de spectateurs monte sur scène pour apprendre un sonnet de Shakespeare et qu’une identité collective se tisse au fur et à mesure de la mémorisation. Nous sommes en plein dans l’art qui relie. La pièce aborde aussi le thème de la résistance, rappelant que même dans des régimes politiques répressifs, le geste artistique est plus fort que tout.

Un mot sur Tout Artaud ?!, où Christian Lapointe tente de lire à haute voix, durant six jours et six nuits, les vingt‑huit volumes de l’œuvre complète d’Antonin Artaud ?

Lapointe fait là un pari complètement fou, qui sera peut-être de l’ordre du record mondial. Mais, de par l’essence même de ce qu’était Antonin Artaud, je pense que c’est la proposition la plus juste pour montrer l’idéal démesuré de cet artiste. C’est un geste de courage de la part de Christian Lapointe, un geste gratuit qui ne sera peut-être réalisé qu’une fois, et qui permet de montrer la beauté inutile des choses, au sens noble de l’inutilité.

Pour conclure, et à quelques jours du lancement, que souhaitez-vous à ce cru 2015 ?

Les vingt-cinq spectacles qui seront joués recouvrent un spectre très large de propositions : entre le Tartuffe grandiose de Michael Thalheimer et la démarche très humble de Tiago Rodrigues avec By Heart, on passe de la profusion à l’épure. Je souhaite que les spectateurs voyagent longtemps dans tous les recoins de ce que peuvent être le théâtre et la danse, que cela crée des tempêtes dans le corps et la tête de chacun d’eux. J’ai hâte de toutes ces tempêtes. 

Propos recueillis par
Aurore Krol


Festival TransAmériques, Montréal, Canada

9e édition

Du 21 mai au 4 juin 2015

Site : http://www.fta.qc.ca/fr

Photo de Martin Faucher : © D.R.

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