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Entretien avec Robin Renucci, président de l’Aria, à propos des 20 ans des rencontres internationales artistiques à Pioggiola

Robin-Renucci-A-Stazzona-Pioggiola

« L’Aria : un lieu ouvert à la rencontre »

Par Marie-Hélène Bonnot
Les Trois Coups

L’Association des rencontres internationales artistiques (Aria) fête ses vingt ans. Rencontre avec Robin Renucci, son président.

Depuis deux décennies, la grandiose vallée du Giussani en Haute-Corse revit avec les vers de Shakespeare ou Molière, avec les mots d’auteurs contemporains, grâce à l’engagement d’artistes, d’élus, de bénévoles tous amoureux du théâtre conscients que l’avenir de la jeunesse passe par l’éducation populaire et artistique.

En 1998, l’acteur Robin Renucci, disciple de Jean Vilar et de Charles Dullin, rêvait de faire renaître, par la culture, les villages de Balagne, dont il est originaire. Il rêvait d’un théâtre au cœur des forêts de châtaigniers et de chênes, dans un territoire oublié. Il rêvait d’un théâtre formateur, éducateur. Pas d’un théâtre consommateur. Le public serait acteur, « spec-acteur » comme on l’appelle ici.

Aujourd’hui, l’Aria fête ses vingt ans autour d’un vrai théâtre en bois construit dans le village de Pioggiola, dans le respect de l’environnement. Son nom : A Stazzona (la forge, en corse). Une expérience unique sur laquelle revient Robin Renucci.

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Robin Renucci à A Stazzona © Gérard Balducci

L’Aria fête ses vingt ans. Comment en êtes-vous arrivé là ?

Robin Renucci : C’est un long chemin, bien que cela nous semble être hier. Cela vient de ma renaissance dans ces petits villages de montagne où j’ai appris à marcher. Même si je suis né au Creusot, mes vraies naissances sensorielles de vie, de désir d’enfant et d’adolescent se sont passées ici.

En 1998, on a fondé l’association. On a très vite été rejoint par les élus et les habitants qui ont compris collectivement notre projet. On a pu obtenir des fonds permettant de financer la réhabilitation du lieu d’hébergement et de restauration (le bâtiment Battaglini) et de construire ce beau théâtre A Stazzona, qui nous permet de travailler aisément tout au long de l’année. Car l’Aria, c’est un projet au long cours. On le connaît surtout en été, mais le travail s’effectue toute l’année. 

C’est un lieu de création, pas un lieu de diffusion ?

C’est un lieu de création, de formation, de transmission. Plus précisément de la formation par la création. En effet, l’outil, c’est la création : réaliser quelque chose ensemble qui est partagé et montré au public à la fin de la formation, qu’elle soit de 15 jours ou d’un mois (ce qui est le cas l’été). Ici, il se passe toujours quelque chose. Par exemple, en plein hiver, 30 ou 40 personnes – presque autant que d’habitants dans le village de Pioggiola – viennent assister aux résultats des formations, c’est-à-dire des créations théâtrales.

« On n’a jamais voulu être un festival »

Cela a-t-il permis des créations d’emplois dans ces villages ?

Il y a sept permanents à l’association, plus trois emplois civiques que nous tentons de transformer en emplois à durée indéterminée. L’Aria est le premier employeur de la micro vallée. C’est quand même une responsabilité importante.

De plus, toutes ces fidélités (au territoire, à la Corse, à l’éducation populaire, à la pratique théâtrale) ont donné un vrai élan. Aujourd’hui, nous sommes rejoints par un public de plus en plus nombreux qui comprend de mieux en mieux ce que nous faisons. En adhérant pour 25 euros, le spectateur peut voir tous les spectacles présentés dans la première semaine du mois d’août. Pour autant, ce n’est pas un public consommateur. Il est membre d’une association qui a des ramifications ailleurs qu’ici, qui parle de nous à l’extérieur et qui dynamise notre action. Pour nous, c’est une grande réussite politique d’avoir pu fédérer à ce point et surtout, de durer.

L-Illusion-comique-Pierre-Corneille
« L’Illusion comique » de Pierre Corneille © Serge Nicolaï

L’enthousiasme du début n’est jamais retombé ?

Au contraire, il s’est renforcé. Nous avons été attentifs à la réception et nous continuons à l’être. Les choses sont toujours fragiles car, comme la vie, tout peut arriver. Nous avons toujours alimenté ce feu, cet arbre qui pousse et qui se renouvelle régulièrement avec ses feuillages et ses fruits. Nous veillons à ne pas nous scléroser. Les encadrants (les cadres qui m’accompagnent, les metteurs en scène, les techniciens) sont d’ailleurs sans cesse renouvelés. Cette année, il n’y a qu’une seule personne qui ait déjà fait l’Aria. Respirer un air nouveau, l’entretenir avec du sang neuf, des personnalités différentes, tout cela permet d’alimenter notre histoire. Certes, nous prenons des risques. Parfois, on prend des stagiaires qui sont devenus metteurs en scène, des gens inconnus aussi. Nous ne nous reposons pas sur nos lauriers car rien n’est jamais acquis. De même, on ne sait pas comment les gens peuvent réagir à la vie collective, à la production d’une création issue de la formation. Mais je suis souvent émerveillé.

Le point culminant arrive l’été, avec une semaine de représentations, au cours de laquelle on découvre le travail des stagiaires. Mais pourquoi refusez-vous le terme de festival ?

Nous ne sommes pas une manifestation estivale. On n’a jamais voulu être un festival car nos rencontres, qui ont lieu toute l’année, aboutissent à plusieurs temps forts, lors d’un week end, d’une semaine, de 15 jours en hiver, au mois de mars ou juin.

Ce terme de festival est plus approprié aux lieux de production ou de diffusion qui programment des spectacles clés en main. En ce qui concerne l’Aria, il s’agit plutôt d’un lieu de rencontres. Ce mot est plus juste. Ces rencontres sont internationales, puisque beaucoup de pays sont présents sur le plateau et dans le public.

De plus, nous n’avons pas de billetterie. Grâce à leur cotisation, les adhérents ont accès à tous les spectacles proposés durant la semaine. Enfin, ici, le théâtre est fait par des gens qui ne se connaissaient pas, il y a un mois, dans un lieu unique. Les spectacles y ont une saveur particulière grâce aux arbres, à la nature, à l’environnement, mais aussi au public et à la liberté de circuler.

Ce n’est donc pas un lieu où l’on accueille des pièces de théâtre toutes faites. Certains, en Corse, voudraient peut-être que ce soit le cas ?

Ceux qui ne connaissent pas nos métiers pourraient se dire qu’on pourrait être rentable, par exemple. Or, nous ne sommes pas là pour faire des bénéfices. Dans une économie d’équilibre budgétaire, notre activité non lucrative d’éducation populaire génère énormément, certes, mais pas en terme financier. Ainsi, il y a près de 800 enfants qui sont venus partager ces équipements dans le cadre d’activités scolaires tout au long de l’année.

Pourquoi ne faire que du théâtre ?

Le propriétaire qui a mis ce terrain à notre disposition a demandé que ce soit exclusivement pour la formation et l’éducation théâtrales, et pas pour un lieu marchand. Il souhaitait, comme nous, que les handicaps de cette micro région soient transformés en atouts. Nous venions de très loin et il faut respecter l’histoire, garder en mémoire les conditions de départ.

Financièrement, comment vivez-vous ?

Grâce aux adhésions, à la coopérative que forment le public et les stagiaires qui paient leur formation. Nous maintenons notre équilibre économique car les encadrants et les professionnels sont payés modestement. Nous travaillons avec de nombreux bénévoles et nous tenons dans une économie pérenne entre l’État, le ministère de la Culture, ceux de la Jeunesse et de l’Éducation nationale, ainsi que la Collectivité de Corse qui intervient à 30 % dans notre budget d’1 million d’euros. On aimerait que ce soit un petit peu plus. Ce n’est pas suffisant pour fonctionner comme nous le souhaitons, avec nos sept emplois permanents. On aimerait avoir plus, bien sûr, mais au fond, ça va très bien et nous pouvons continuer sur notre lancée parce que nous nous autofinançons toujours à 50 %. Nous ne dépendons donc pas d’une manière absolue et totale d’aides qui, si elles diminuaient, nous empêcheraient d’exister.

« Pour nous,

c’est une grande réussite politique

d’avoir pu fédérer à ce point

et surtout, de durer. »

Quels sont vos rapports avec les élus corses ?

Il y a souvent de nouveaux élus, selon l’alternance politique. Il faut être au bon endroit, pas dans un rapport de politique politicienne ni partisane. Nous parlons d’intérêt général, de bien public, de la Corse de l’intérieur, de ces régions qui sont si défavorisées que le ministère de la Culture les a nommées « zones blanches ». Ce sont les « oubliés », tant pour les publics que pour les territoires. Aucun homme politique n’est insensible aux initiatives générant des développements « locaux », avec des retombées économiques importantes. C’est pourquoi, notre projet a toujours suscité l’intérêt.

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Discours des 20 ans par Robin Renucci © Marie-Hélène Bonnot

Maintenant, face à ce succès, certains pourraient se dire : « à notre tour de jouir de ces équipements qui ne doivent pas être exclusivement mis à disposition de l’Aria ». Seulement, ils ont été conçus pour les activités de notre association. Reste que c’est un lieu ouvert à la rencontre et il est évident que nous accueillons tous ceux voulant partager avec nous, dans le respect de ce que nous sommes.

Cette année, vous avez eu la visite de la ministre de la Culture. C’est important ? Une forme de reconnaissance ?

Bien sûr, que c’est important ! Régulièrement des ministres sont venus nous soutenir. Ils reconnaissent que nous faisons du bon travail, que nos formations initiales ou continues sont reconnues dans le cadre de nos activités d’éducation artistique, que les spectacles sont bons, que les amateurs sont dans un cadre qui favorise leur élévation. Les élus constatent ainsi que l’argent du contribuable est bien utilisé.

« Nous aimerions obtenir le label

de Centre culturel de rencontres »

Comment se fait-il qu’il n’y ait pas de scène nationale en Corse ?

La Corse est la seule région de France, avec la Picardie, qui n’a ni centre dramatique national ni scène nationale. Il y a juste un label musique. Comme je le disais, c’est une région oubliée. Les politiques culturelles nationales et régionales n’ont pas réussi à canaliser l’énergie pour créer un centre dramatique, ce qui aurait pourtant été souhaitable car la création a la capacité de transformer un territoire. Dans une île où l’identité et la langue sont très importantes, la création est un outil formidable de valorisation. Hélas, les Corses n’en ont pas suffisamment conscience. Alors, pourquoi l’État investirait-il dans une région qui ne le demande pas ?

De plus, je pense qu’aujourd’hui les modèles sont peut-être un peu usés. Il faudrait aller au-delà, c’est-à-dire inventer un Centre méditerranéen. La Corse est la région la plus basse de la France et de l’Europe, au cœur du bassin méditerranéen. Je pense que ce serait formidable de relier l’Afrique avec la Corse, de relier toutes les civilisations et nationalités de ce bassin. C’est pourquoi je travaille actuellement sur la création d’un label, celui de Centre culturel de rencontres. Un label national qui pourrait être, pour l’Aria, la prochaine étape, dans les années à venir.

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« Soir de fête » © Serge Nicolaï

Justement, qu’est-ce qui a changé en vingt ans, du côté des habitants, de la région et du public ?

Quand on regarde le film qui a été fait sur les premières rencontres en 1998, nous voyons que nous sommes exactement au même endroit, en mieux. Mais la pensée, éthique, politique, artistique reste absolument la même. Éducateurs, animateurs, enseignants, amateurs de spectacles vivants, professionnels du théâtre et participants étrangers continuent d’être mélangés sur le plateau. Entre les Corses qui ne sont jamais venus et les vacanciers, le public se régénère.

Tout cela s’est donc fortifié, tout va dans le bon sens. Des personnes âgées qui avaient participé aux débuts de cette aventure ne sont plus là, mais des très jeunes ont pris la relève. Les bénévoles corses, âgés entre 20 et 25 ans, sont très nombreux. Ils ont compris que c’était leur histoire et qu’ils travaillent pour les futurs chantiers. C’est pour nous une belle réussite.

Alors comment voyez-vous l’avenir ?

J’ai confiance dans la population jeune qui nous rejoints. Nous aimerions obtenir ce label de Centre culturel de rencontres, ainsi que la pérennisation de nos conventions avec la collectivité de Corse et le Syndicat mixte du Giussani. Nous pourrons ainsi avancer aussi sereinement que possible pour atteindre tous nos objectifs. 

Propos recueillis par Marie-Hélène Bonnot


21e Rencontres Internationales de Théâtre en Corse

Site

Rendez-vous public du 4 au 11 août 2018, à Stazzona (20)

Adhésions : 25 €

Renseignements : 04 95 61 93 18 • contact@ariacorse.net

Photo © Gérard Balducci © Marie-Hélène Bonnot © Serge Nicolaï


À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ 12rencontres internationales de théâtre en Corse organisées par l’Aria, par Angèle Lemort

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