Le théâtre, lieu
de dénonciation
et de résistance
Par Candy Chevalier
Les Trois Coups
Je n’ai plus de doute, Rodrigo García est le nouveau perturbateur de la scène contemporaine internationale ! Cet Hispano-Argentin s’est imposé par sa plume poétique et engagée et ses mises en scène proches des arts plastiques. Il utilise des images chocs pour toucher le spectateur, le pousser à la réflexion, le faire réagir.
En entrant dans la salle, je m’attendais à voir un spectacle subversif, violent, poétique, mais je ne pouvais imaginer que ma sensibilité en ce qu’elle a de plus instinctif allait être autant sollicitée. J’ai assisté à une réelle performance théâtrale, qui m’a littéralement perturbée, bousculée.
García nous décrit un monde perverti par le capitalisme et la société de consommation. Dans Et balancez mes cendres sur Mickey, il nous renvoie l’image d’un monde apocalyptique, un monde que l’homme a dénaturalisé. Il démontre, avec il faut le dire une certaine violence, que l’exploitation économique régit le monde. Tout devient objet de profit. Les sites naturels, par exemple, sont tellement « aménagés » qu’ils non plus rien de charmant, de vrai. Dans J’ai acheté une pelle chez Ikea pour creuser ma tombe, il écrivait déjà « On apprivoise la nature et on appelle ça un parc. On apprivoise l’homme et on appelle ça un État ».
Comme dans la majorité de ses spectacles, Rodrigo García dénonce les dérives de notre société, la dictature de la rentabilité, la manipulation et le formatage des individus. Théâtralement, cela se traduit par la représentation de corps rendus à leur animalité, l’abondance de nourriture, la présence de sang, de sexe. Des enfants sont sur scène, spectateurs naïfs de ce chaos.
Le spectacle est choquant, troublant. Les corps sont mutilés, dénudés, la scène est souillée. Tout est mis en œuvre pour réveiller un public trop habitué à regarder les horreurs du monde sans même la plus petite réaction. Sa mise en scène est à la fois grave et légère. Le spectateur passe par différents états. Il est impossible de rester passif dans son fauteuil, García nous secoue au plus profond. Il nous touche en plein dans notre humanité. On rit, on pleure, on a mal au ventre, nos muscles se contractent, tout le corps est sensibilisé.
Les images sont brutales, percutantes : des souris sont quasiment noyées dans un aquarium, une femme est rasée en direct… Cette dernière image a d’ailleurs suscité une vive polémique. En effet, pour Et balancez mes cendres sur Mickey, le metteur en scène a engagé des figurantes pour se faire raser la tête en direct chaque soir sur la scène du Théâtre du Rond-Point. Certains perçoivent cela comme un acte de mutilation, d’autres comme une magnifique performance théâtrale. García, quant à lui, a déclaré : « Se faire raser la tête n’a rien de violent, c’est très beau une tête rasée. ».
Personnellement, ce passage m’a profondément marquée, je l’ai trouvé à la fois intense et douloureux. Mais je me suis sentie plus voyeuse que spectatrice. Je me suis tout de suite identifiée non pas à cette comédienne, mais à cette femme délestée d’une part de sa féminité. J’ai imaginé comment elle allait apprivoiser cette nouvelle image d’elle-même en sortant de scène, comment elle allait réagir au regard des autres dans la rue, dans la vie…
Je me suis alors questionnée sur le rôle du théâtre. Jusqu’où peut-on aller sur un plateau ? Face à la dureté de ce parti pris de priver réellement ces comédiennes de leur chevelure, je me demande si le théâtre ne doit pas rester une simple représentation de la réalité… Je ne sais pas.
García écrit et monte ses spectacles dans l’urgence. Ils sont le résultat d’une nécessité. L’art devient un outil de résistance, un moyen de dénonciation. On peut être heurté par sa vision du monde, on peut le trouver moralisateur, mais on ne peut pas lui reprocher un manque de sincérité et d’engagement.
Et balancez mes cendres sur Mickey est un spectacle excessif, incisif. Les acteurs remuent nos tripes, notre âme, notre conscience d’homme. On ne ressort pas indemne de la salle. ¶
Candy Chevalier
Et balancez mes cendres sur Mickey, de Rodrigo García
Cie de la Carniceria Teatro
Texte et mise en scène : Rodrigo García
Traduction : Christilla Vasserot
Assistante à la mise en scène : John Romao
Avec : Jorge Horno, Nuria Lloansi et Julian Loriente
Lumière : Carlos Marquerie
Design des projections : Ramón Diago
Direction technique : Ferdy Esparza et J.‑P. Timouis
Costumes : Jorge Horno
Photo : © Christian Berthelot
Opération surtitres : Alicia Roda
Coproduction La Carcineria Teatro, Théâtre national de Bretagne à Rennes, Bonlieu, scène nationale d’Annecy
Coréalisation Théâtre du Rond-Point, Festival d’automne à Paris
Théâtre du Rond-Point • 2 bis, avenue F.‑D.‑Roosevelt • 75001 Paris
Réservations : 01 44 95 98 21
Du 8 au 17 novembre 2007 à 21 heures
Durée : 1 h 20
Spectacle en espagnol surtitré en français