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« F[eux] », création collective dirigée par Manon Thorel et Julie Lerat‑Gersant, dans le cadre d’Adolescence et Territoire(s), Ateliers Berthier à Paris

F(eux) © Mélissa Boucher

Dix‑sept adolescents
brûlent les planches

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Pour cette 4e édition d’« Adolescence et Territoire(s) », Manon Thorel et Julie Lerat‑Gersant (Cie La Piccola Familia) ont proposé un projet de création théâtrale à 17 adolescents. Un programme innovant d’éducation artistique et culturelle initié par l’Odéon-Théâtre de l’Europe, avec l’espace 1789 de Saint‑Ouen, le Théâtre Rutebeuf de Clichy-la-Garenne et le Théâtre Gérard Philipe de Saint‑Denis. « F(eux) » est le fruit de ce travail de grande qualité.

Implanté porte de Clichy, l’Odéon-Théâtre de l’Europe mène, depuis l’ouverture de sa salle des Ateliers Berthier, des actions culturelles pour sensibiliser les publics jeunes et éloignés de la culture. Dans ce contexte territorial particulier et dans le champ d’action de sa mission d’accessibilité à différents publics, le projet « Adolescence et Territoire(s) » a vu le jour en 2012, en collaboration avec trois autres théâtres partenaires, désireux d’œuvrer aussi en proximité.

Chaque saison, une vingtaine d’adolescents âgés de 15 ans à 20 ans se voit donc offrir la possibilité de participer à la création d’une pièce de théâtre sous la direction d’un metteur en scène. Après Didier Ruiz, Jean Bellorini et Julie Deliquet, c’est au tour de Manon Thorel et Julie Lerat‑Gersant, comédiennes et dramaturges de la Cie La Piccola Familia, de faire travailler 17 adolescents issus de Clichy‑la‑Garenne, Saint‑Ouen, Saint‑Denis et Paris 17e, tous volontaires : exercices de théâtre, improvisations, travail au plateau… F(eux) est l’aboutissement de leur recherche.

Ces laborantins ont interrogé la question du point de vue. Question d’autant plus intéressante, dans ce moment important où la personnalité tente de s’affirmer, où la quête identitaire bat son plein, où le jugement d’autrui peut faire des ravages. D’emblée, ces jeunes se sont saisis de ce thème imposé pour aborder la différence, à travers un fait-divers inventé de toutes pièces, un drame terrible : F., tout le monde ne parle que de lui, mais ce jeune homme brille par son absence pour la bonne raison qu’il a disparu dans l’incendie qu’il a provoqué. Ceux qui l’ont connu intimement, voire croisé, le racontent. Les subjectivités de chacun permettront-elles de retracer l’histoire de manière objective ?

Implication

Ces acteurs en herbe ont pu explorer, en toute liberté, les endroits où le point de vue peut distordre le réel, créer des conflits d’interprétation, susciter des quiproquos. Ils ont testé leurs propositions sur scène et ont fait de bien belles découvertes qui concernent tous les aspects de la création d’un spectacle, depuis la fabrique de l’histoire jusqu’aux images utiles à la mise en scène, en passant, bien sûr, par l’interprétation. Pas à pas, ils ont pu exprimer un large palette de sentiments, convoquant toutes sortes d’émotions à partager avec le public, de façon subtile : « On a appris à faire des petites choses qui veulent dire beaucoup ou à faire grand pour signifier peu », explique Dana. Tous fortement impliqués depuis octobre, à raison de stages intensifs pendant les vacances scolaires, ils ont créé un spectacle réussi sur tous les plans.

Si certains ont déjà fait du théâtre, comme Juliette qui fréquente aussi le théâtre depuis toute petite, ou Elliot, participant à des ateliers depuis longtemps, d’autres ont eu la révélation : « C’est vraiment une première pour moi et apprêtez-vous à me revoir, car je ne peux plus me passer du théâtre maintenant », s’enthousiasme Élyse, qui considère désormais l’art dramatique comme essentiel à son existence. Ikram, quant à elle, est arrivée du Maroc l’été dernier. Sa mère adoptive l’a inscrite à l’audition pour qu’elle apprenne la langue de façon intensive et ludique. Elle a su convaincre avec son cœur. Pari gagné ! Son français est aujourd’hui impeccable.

« Enjaillement »

Manon et Julie ont dirigé les ateliers et, pierre après pierre, elles ont bâti l’édifice. Elles ont su s’emparer des fragments pour construire une vraie pièce écrite à plusieurs mains, en intelligence collective. Les scènes courtes, qui enchaînent situations cocasses et dramatiques, donnent du rythme. À travers des instants de vie, des témoignages, des souvenirs, nous reconstituons le puzzle de l’existence de F. et les raisons de son geste criminel. Un portrait multifacette non dénué de sensibilité et d’humour. La mise en scène, inventive, cisèle chaque mouvement. Des chaises rouges, quelques costumes, pas d’accessoires. L’espace vide se remplit de la belle présence de ces apprentis qui ne veulent pas forcément en faire leur métier, d’ailleurs.

Si les corps de ces jeunes apparaissent dans toute leur fougue, animés de leurs conflits, y compris internes, Manon et Julie ont canalisé les énergies. Et en tirer profit aussi. Leur travail, au plus près des interprètes, permet d’exploiter la force comique de l’un, la capacité à faire jaillir les larmes d’un autre. Elles ont su déceler des talents spécifiques, s’inspirer des personnalités de chacun. La direction d’acteur est précise et les comédiens bluffants. Bien ancrés, efficaces dans leurs adresses au public, naturels, ces derniers échappent à la plupart des travers que l’on retrouve généralement chez les amateurs. Bravo ! Ils brûlent littéralement les planches et leur complicité fait plaisir à voir. Ça vibre à l’unisson.

F(eux) est une belle promesse, celle d’un monde riche de la différence et de la force créative. Au-delà de l’expérience artistique et humaine, ces passionnantes passerelles permettent à ces jeunes habitants – les acteurs centraux de la vie de ce quartier où tout est à (re)construire – de se saisir de leur territoire et de le rendre concrètement vivant grâce à l’imaginaire et au théâtre. 

Léna Martinelli


F(eux), création collective dirigée par Manon Thorel et Julie Lerat‑Gersant

Contact : 01 44 85 40 47

a-t@theatre-odeon.fr

Site : http://www.theatre-odeon.eu/fr/public/public-de-proximite-des-ateliers-berthier/adolescence-et-territoires

Avec : Yanis Bouferrache, Benoît Bringtown, Aïcha Chemmah, Elliot Cohen, Ikram Erajai, Sofia Cousinie, Tene Doumbia, Rima Freiha, Elfie Gay, Joséphine Godard, Camélia Hassanine, Élyse Lambert, Juliette Maheu, Victoria Molland, Rosa Pradinas, Sarah Sadouni, Dina Sebti, Capucine Vaissettes

Arrangeur, créateur musical : Théo Godefroid

Régie lumière : Lee Amstrong

Photo : © Mélissa Boucher

Ateliers Berthier • 1, rue André‑Suarès • 75017 Paris

Dans le cadre d’Adolescence et Territoire(s), 4e édition

Réservations : 01 44 85 40 40

Site du théâtre : http://www.theatre-odeon.eu

Réservation : http://billetterie.theatre-odeon.eu

Vendredi 6 et samedi 7 mai 2016 à 20 heures

Durée : 1 h 15

Entrée libre sur réservation

Tournée

  • Mardi 10 mai à 20 heures, espace 1789, Saint‑Ouen (93), tél. 01 40 11 70 72
  • Jeudi 12 mai à 20 h 30, Théâtre Rutebeuf, Clichy‑la‑Garenne (92), tél. : 01 47 15 98 50
  • Vendredi 20 mai à 20 heures, Théâtre Gérard‑Philipe, Saint‑Denis (93), tél. : 01 48 13 70 00

Un web-documentaire de Grégoire Lamarche, produit par Ketchup Mayonnaise, avec le soutien de Vivendi Create Joy, est en cours de réalisation. Pour voir les premiers épisodes :

http://www.dailymotion.com/video/x3hck9y_pas-a-pas-episode-1-adolescence-et-territoire-s-4-odeon-theatre-de-l-europe_creation

http://www.dailymotion.com/video/x3sp15e_journal-de-bord-numerique-2-4-adolescence-et-territoire-s-4-initie-par-l-odeon-theatre-de-l-europe_creation

http://www.dailymotion.com/video/x41x2rc_journal-de-bord-numerique-3-adolescence-et-territoire-s-4-initie-par-l-odeon-theatre-de-l-europe_creation

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