« Fileuse » et « De ses mains », de Cécile Mont-Reynaud, Le Mans fait son cirque

Cécile Mont-Reynaud-cie-lunatic

Sur le fil

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Tisseuse de liens, Cécile Mont-Reynaud est plus que jamais dans la transmission. Sa démarche, alliant recherche, création, diffusion et ateliers aboutit à des formes originales, fruit d’une expérience de vie riche de rencontres et découvertes. Ses installations scéniques entremêlent savamment acrobatie, voix, texte, musique et arts plastiques. Des « Objets Poétiques Non Identifiés » qui sont autant d’explorations sensibles de l’humain.

Pour une acrobate aérienne, la vie ne tient qu’à un fil. Alors, pensez, avec l’âge ! Elle voulait décrocher la lune ; elle rejoint les étoiles. À la quarantaine, nombre de circassiens songent déjà à passer le flambeau, se concentrent sur la formation ou la direction artistique. Sa reconversion, Cécile Mont-Reynaud y travaille depuis longtemps. Formatrice en acrobatie aérienne, elle est aussi éducatrice somatique par le mouvement.

Lunatic-Cécile Mont-Reynaud-De ses-mains
© Christophe Raynaud de Lage

Toutefois, elle continue à jouer dans ses spectacles, tout en travaillant d’arrache-pied pour donner du sens à sa présence ici-bas : faire briller toute une constellation. Constituée d’un tissu chatoyant aux liens serrés, la femme fait évoluer sa pratique artistique vers un cirque qu’elle considère comme « artisanal, car il nous parle des liens, qui se tissent au monde, de génération en génération, et du faire, de ses mains dans un monde en perte de sens et de relation avec autrui, des liens avec le corps et l’environnement ». Un savant entrelacs de gestes, de voix et de traces.

Maillages

Fondée en 2000, la compagnie Lunatic a donné naissance à une dizaine de spectacles, des formes spectaculaires inspirées des mythes universels, mais aussi des propositions insolites accueillies dans des lieux non dédiés, des espaces publics naturels ou urbains, dont de nombreuses créations dédiées au jeune public (création in situ, en immersion dans des structures de la petite enfance). Le projet développe aussi l’intergénérationnel. Ancrée sur des territoires (notamment une résidence d’implantation à Romainville), elle aime nouer des relations privilégiées avec des habitants. Découvrir son travail dans le quartier des Sablons, en périphérie du Mans a donc tout son sens.

Les rencontres nourrissent le travail de la compagnie : Laurence Vielle et Wilfried Wendling, Hélène Breschand font partie des collaborateurs précieux. Certaines sont plus déterminantes que d’autres comme celle avec Tim Ingold. L’anthropologue a bien décrit, dans ses ouvrages, comment l’être humain, de tout temps, a tracé des lignes : dans l’écriture, le dessin, la marche, le tissage. Sa pensée innerve la réflexion de Cécile Mont-Reynaud. Quant à la rencontre avec l’artiste tisserande Simone Prouvé, créatrice entre autre de tapisseries en inox, elle a donné lieu à Fileuse (2015), qui nous permet justement de découvrir la compagnie.

Tissus sensoriels et sociaux

Journal intime donné à lire à la verticale, ce spectacle est touchant, car le propos est universel. Accrochée à des murs de cordes « fileuses », telles des peaux ou des feuilles de papier, Cécile Mont-Reynaud y évoque les cycles. De son corps qui mue, elle a tiré les fils pour révéler les imaginaires nichés dans son corps d’acrobate, jusque sous sa peau : « Pensée, dépassée… tout est passé ». Lyrique et inspirée, la poète et comédienne Laurence Vielle porte la circassienne, la hisse littéralement au sommet. Elle scande les mots, donne du rythme et du souffle à ces temps suspendus, entre traversées, détours et ascensions.

En dialogue avec ces mots vibrants, Cécile Mont-Reynaud habite le mouvement. Son corps se fait musical car sa respiration est reprise, amplifiée, traitée électroniquement grâce à un dispositif acousmatique créé par le compositeur Wilfried Wendling. Ce son texturé et enveloppant contribue grandement à la réussite de l’expérience, laquelle met en résonance les espaces sensoriels et les imaginaires, du dedans et du dehors, surtout quand le vent fait son œuvre, comme ce soir-là.

Architecte de formation, Cécile Mont-Reynaud habite aussi son environnement en créant des échos avec celui-ci, qu’il soit urbain ou naturel. Elle veut montrer « comment, dans les liens qui se tissent entre les êtres et avec le territoire, nous avons peu à peu perdu le sens (et les sens) du geste qui les a fait naître ». Certes, l’acrobate finit par prendre de la hauteur, mais loin d’être perchée sur une tour d’ivoire, sa posture confirme son intérêt pour le social.

Chemins de vie tissés

C’est le constructeur Gilles Fer qui conçoit et réalise toutes les scénographies originales et lumières de la compagnie, notamment ces agrès constitués de fils fins dits « cordes fileuses » et les structures en bambous. Plus que des portiques pour les aériens, ils deviennent des paysages à parcourir, support tout autant d’imaginaires que de possibilités acrobatiques.

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© Pauline Turmel

De ses mains, création 2021 (dont c’était, au Mans fait son Cirque, la première nationale), est aussi une installation plastique, aérienne et sonore, mais cette fois-ci en déambulatoire et Cécile Mont-Reynaud est dans le public. Guidés par le fil rouge d’une harpiste, une enfant, un jeune acrobate aérien et une ancienne artiste de cirque croisent les fils de monumentaux métiers à tisser. Une bien belle lignée, car l’on suit, un peu comme une initiation, ces générations qui mettent du cœur à l’ouvrage, à chacune de ces étapes.

Comme des navettes, les corps aériens tissent des trames dans la chaîne verticale des cordes, travaillant la matière et évoluant avec grâce pour dessiner des passages et chemins de vie tendus entre l’enfance et la vieillesse. Ces architectures de fils se fabriquent à vue : elles sont tissées, nouées, traversées de fils de trame pour devenir à la fois installations et agrès aériens originaux.

Perchée, Cécile Mont-Reynaud ? Certes, elle expérimente de sacrés tableaux qui se construisent ou se défont en live. Comme la vie qui file. Avec ses hauts et ses bas. C’est bucolique, planant, plus ou moins « barré ». Mais ce croisement astucieux de mots, de sensations, d’images et de mouvements insufflent une expression poétique rassérénante. Un baume. 

Léna Martinelli


Rencontre avec la compagnie Lunatic

Site de la compagnie 

Tournée ici

Dans le cadre du festivalLe Mans fait son cirque, 20e édition du 18 au 27 juin 2021 • Tél. 02 43 50 21 51

Plus d’infos ici

Fileuse

Interprétation et mise en scène : Cécile Mont-Reynaud

Textes écrits et dits en voix off par Laurence Vielle

Dispositif acoustique et composition : Wilfried Wendling

Scénographie : Gilles Fer

Lumières : Annie Leuridan

Son : Thomas Mirgaine

Costume : Mélanie Clénet

Collaborations artistiques : Volodia Lesluin, Yumi Fujitani, Anne Rouquès

Durée : 35 minutes

Tout public

Parvis de L’Espal • 60-62, rue de l’Estérel • 72000 Le Mans

Les 22 et 23 juin 2021

Gratuit

De ses mains

Écriture et mise en scène : Cécile Mont-Reynaud

Avec : Alvaro Valdes, en alternance avec Inbal Ben Haim, Zoé Maistre, Hélène Breschand, Sarah Fer

Scénographie et lumières : Gilles Fer

Composition : Hélène Breschand

Textes originaux : Laurence Vielle

Arts plastiques et aide à la mise en scène : Chloé Cassagnes

Création sonore acousmatique : Thomas Mirgaine et Wilfried Wendling

Dramaturgie : Eleonora Gimenez

Dramaturgie, aide à l’écriture : Paola Rizza

Costumes : Mélanie Clénet

Durée : 1 h 30

Tout public

Promenade Newton • 72000 Le Mans

Du 25 au 27 juin 2021

Gratuit

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