Focus Théâtre/FR, projet collectif imaginé et réalisé par le Manège Maubeuge‐Mons, CulturesFrance et l’Onda

le Manège Maubeuge-Mons

Focus sur le théâtre de demain

Par Marie Tikova
Les Trois Coups

Dans le cadre du festival international Via et pour la deuxième année consécutive, Focus Théâtre/FR, manifestation dédiée au théâtre contemporain, fait un gros plan sur une nouvelle génération d’artistes français et belges francophones. Cet évènement transfrontalier entre France et Belgique attire les programmateurs du monde entier. De Mons à Maubeuge, entre spectacles et « salons d’artistes », durant quatre jours, on peut entrevoir ce que sera le théâtre de demain.

En introduction, l’exposition Paranoïa à l’espace Sculfort de Maubeuge annonce la couleur. Vingt‑neuf installations interactives, visuelles et sonores, au croisement des arts et des nouvelles technologies nous font entrer dans un univers futuriste, ludique et fantastique. Dans une société obsédée par la sécurité, l’installation de Marnix De Nijs, Physiognomic Scrutinizer, reprend, pour le détourner, le concept des détecteurs de sécurité des aéroports. Le visiteur qui traverse son installation est passé au crible d’un logiciel et identifié comme un des cent cinquante criminels présélectionnés dans la banque de données.

L’artiste brésilien Edouardo Kac, dans son œuvre Natural History of the Enigma, a quant à lui créé une nouvelle plante nommée Edunia, fleur génétiquement modifiée, créée à partir d’un pétunia et de l’A.D.N. de l’artiste. Il y a aussi ce jeu de vidéosurveillance, Vigilance 1.0 de Martin Le Chevallier, dont l’objectif est la délation. Face à une série d’écrans qui représentent des lieux divers dans la ville, le joueur doit déceler dans un temps limité un maximum d’infractions, chaque citoyen étant considéré comme un délinquant en puissance. Humour, poésie, fantastique, chaque artiste imprime sa griffe, mais tous détournent avec talent et provocation cette obsession sécuritaire et déclinent nos peurs mythologiques et paranoïaques.

Retour au théâtre avec le collectif MxM et le texte de Falk Richter Electronic City, une réflexion sur la solitude et l’aliénation de l’homme moderne à partir d’un travail mêlant théâtre, vidéo et musique électronique. Dans un univers glacé tout en noir et banc, Tom, businessman débordé, perd ses repères à changer sans cesse de ville, d’hôtel, d’aéroport. Joy, sa petite amie, passe elle aussi son temps d’aéroport en aéroport. Il est alors bien difficile de se croiser et d’avoir quelques instants de rencontre, de tendresse. La mise en scène précise et efficace de Cyril Teste nous entraîne dans un monde où seule la productivité importe. De la solitude au cauchemar, les personnages sont peu à peu dépossédés de leur identité. Mêlant habilement images virtuelles et comédiens, le metteur en scène crée le malaise. Un son récurrent participe à rendre cette atmosphère de plus en plus schizophrénique.

« Il faut qu’on invente les prochaines années. »

Electronic City est le premier volet d’une proposition de Falk Richter intitulée « le Système », qui interroge le fonctionnement de notre mode de vie et notre système politique. Dans la pièce, il s’agit aussi d’une réflexion sur les chances de survie d’une relation amoureuse dans notre société contemporaine. La proposition du collectif MxM met en perspective ce sentiment d’isolement, cette sensation d’épuisement et de perte d’identité. « Il faut qu’on invente les prochaines années » dit un des personnages. Cyril Teste et toute son équipe ont su parfaitement intégrer la vidéo à l’espace théâtral. Le jeu désincarné des comédiens, le débit rapide de la parole rendent d’autant plus cauchemardesque cet univers où l’homme est de plus en plus soumis au virtuel.

Autre spectacle, autre proposition. Chronique d’une ville épuisée est un spectacle sans texte, mis en scène par Fabrice Murgia. Un très beau travail de ce jeune metteur en scène de 26 ans qui lui aussi intègre, avec un langage très personnel et une grande maîtrise, la vidéo dans l’espace théâtral. Dans un décor réaliste, on assiste au réveil de la jeune Ondine, qui replie son Clic-Clac rouge puis boit son café du matin. Gestes quotidiens accomplis en silence dans un rythme lent, jusqu’à l’ouverture de l’ordinateur qui fait brusquement basculer la réalité dans un monde virtuel, ludique et coloré. La fiction envahit tout l’espace. Mais pour Ondine, le retour à la réalité sera bien rude, car la vie virtuelle, cette « second life », est tellement plus riche et excitante.

Comme Alice après la traversée du miroir, le spectateur est lui aussi entraîné dans l’univers fantastique de Fabrice Murgia. Perspectives mouvantes, son électronique lancinant, fleurs du papier peint qui bougent et se déforment, dédoublement du personnage, rêves ou hallucinations, Ondine, vêtue de son tutu rouge, vit par procuration. Elle attend « une nouvelle vie ». « On va devenir quoi ? » écrit-elle sur son ordinateur. Une tache rouge sur l’écran, fumée rouge au lointain, Ondine s’est transformée en sirène dans la baignoire de la salle de bains. Entre rêve et réalité, le spectacle questionne sur la solitude et la difficulté de communiquer dans un monde d’échange virtuel. Belle performance d’Olivia Carrère, qui traverse le spectacle avec une grande justesse et une personnalité attachante.

Un tour dans les Salons d’artistes pour entendre, dans des espaces intimes, les metteurs en scène présenter leurs projets et leurs démarches artistiques aux programmateurs. Benoît Giros travaille sur la préparation de son projet Au jour le jour, d’après la Règle du jeu de Jean Renoir, spectacle qui verra le jour en mars 2012 au C.D.N. d’Orléans. Bérangère Vantusso, quant à elle, construit de nouvelles marionnettes pour son projet Violet, de Jon Fosse, qui sera créé en 2012 au Théâtre national de Toulouse. Artistes et programmateurs se côtoient, échangent, mais le public est aussi au rendez-vous, les salles sont pleines. Durant quatre jours, entre Maubeuge et Mons, il n’y a pas une minute à perdre, les spectacles s’enchaînent et ne se ressemblent pas. 

Marie Tikova

Lire la critique d’Electronic City par Estelle Gapp pour les Trois Coups

Lire la critique de Reset par Estelle Gapp pour les Trois Coups


Focus Théâtre/FR, projet collectif imaginé et réalisé par le Manège Maubeuge-Mons, CulturesFrance et l’Onda dans le cadre du festival international Via, initié par Didier Fusillier et Yves Vasseur

Du 30 mars au 2 avril 2011

www.lemanege.com

Exposition Paranoïa

Commissaire : Charles Carcopino

Electronic City, de Falk Richter

Collectif MxM

Mise en scène : Cyril Teste

Dramaturgie : Anne Monfort

Avec : Pascal Rénéric, Servane Ducorps, Aymeric Rouillard, Alexandra Castellon, Stéphane Lalloz

Régie générale : Julien Boizard

Musique originale : Nihil Bordures

Création lumières : Julien Boizard

Scénographie : Élisa Bories

Costumes : Élisa Bories, Alexandra Castellon

Régie vidéo : Mehdi Toutain‑Lopez

Assistant vidéo : Nicolas Doremus

Photographies : Pierre‑Jérome Adjedj et Grégory Bohnenblust / festival Via

Chef opérateur : Michel Lorenzi

Collaboration vidéo : Patrick Laffont

Chronique d’une ville épuisée, de Fabrice Murgia

Cie Artara | http://artara.be/

Mise en scène : Fabrice Murgia

Interprétation : Olivia Carrère

Assistanat : Christelle Alexandre, Catherine Hance

Environnement vidéo : Arié Van Egmond

Cameraman : Xavier Lucy

Régie vidéo : Giacinto Caponio

Création lumière : Pierre Clément

Régie lumière : Ludovic Desclin

Scénographie : Vincent Lemaire

Décoration : Anne Goldschmidt, Marc‑Philippe Guérig, Anne Humblet

Musique et régie son : Yannick Franck

Régisseur général : Romain Gueudré

Construction décor : les ateliers du Théâtre National à Bruxelles

Création costumes : Sabrina Harri

Chant : Albane Carrère

Figuration : Christelle Alexandre, Romain Gueudré

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