« Hacia la alegría » [« Vers la joie »], d’après « Excelsior » d’Olivier Py, l’Autre Scène du Grand‑Avignon à Vedène

« Hacia la alegría (Vers la joie) » © Ros Ribas

Bienvenue en enfer

Par Maud Sérusclat-Natale
Les Trois Coups

Commandé dans le cadre du projet « Villes en scène » du programme culture de l’Union européenne, « Hacia la alegría » d’Olivier Py, créé en novembre 2014 à Madrid, se jouait pour la première fois en France à Vedène dans la cadre du Festival d’Avignon.

Ne vous fiez pas au titre, qui en français serait « Vers la joie ». Il n’est pas question d’un chemin vers la joie ou le bonheur dans cette pièce noire, fielleuse, furieuse même, qui raconte la vie d’un homme qui a perdu toute illusion sur le monde et qui se sent « au cœur de la mort ». Le plateau est noir, deux murs de brique noire s’entrouvrent et s’assemblent pour laisser voir une chambre glauque, dans laquelle gît un homme d’une cinquantaine d’années, nu comme un ver au fond de son lit. Il se réveille brusquement à quatre heures du matin et nous gratifie de ses états d’âme, afin que nous profitions nous aussi de « l’appel de la nuit ». Il parle en espagnol (heureusement, car ça nous met à distance) et il est accompagné par un quatuor à cordes. Celui-ci joue la musique spécialement écrite par le compositeur espagnol Fernando Velásquez pour illustrer de façon sonore les sinueuses et sinistres pensées de notre homme. Pour le rêve et la magie du théâtre, on repassera. Ou pas.

Car le très généreux comédien Pedro Casablanc, seul en scène, après une toilette de chat, s’habille et sort. Il veut courir, courir au cœur de la ville, cette « nécropole des rois pour les chiens », courir pour nous faire sentir son odeur putride, pour nous faire transpirer notre ennui, et pour sentir son corps s’essouffler cette fois non plus symboliquement mais aussi physiquement. Il se livre alors à un véritable marathon de près d’une heure, et arpente frénétiquement une sorte de tapis roulant qui traverse le plateau.

La scénographie de Pierre-André Weitz est d’ailleurs très bien pensée. Ce cube de brique noire qui s’assemble, pivote, s’ouvre et se disloque pour figurer à la fois le lieu clos de la chambre et aussi sa vacuité. Les murs de la ville obscure sont représentés par un long film plastique taché à travers lequel on projette des ombres, et on y signifie l’engluement des hommes dans les murs sales de la modernité. Oui, quand on voit ce spectacle, on se sent comme une mouche prise au piège en plein vol sur un serpentin de colle. On poisse, on suffoque, on transpire, mais on ne pense pas. On ne le peut pas. Ce spectacle brise à mon sens toute velléité de réflexion. On en reste prisonnier et c’est bien dommage.

En effet, le comédien est assez fabuleux et sa performance impressionne, car son corps est violemment mis à l’épreuve tant par le texte que par sa course folle vers l’abîme. Et, même si les musiciens interprètent avec précision et brio leur partition, on peine à être saisi par le propos. Celui-ci se veut très philosophique mais malheureusement banalement habituel. On comprend bien ce que veut nous raconter Olivier Py, ce désenchantement du monde que nous connaissons tous, cette ruée vers la consommation à laquelle nous avons du mal à échapper, l’envahissement de l’artificiel, l’appauvrissement des consciences et des âmes, la mort des rêves. Il le résume en une phrase marquante : « Tant de jouissance dans ce monde et si peu de désir ! ». L’homme, universellement misérable, perdu et plongé à jamais dans la nuit qu’il a lui-même jetée sur le monde : rien de bien neuf, rien de révolutionnaire, rien qui ne nous fasse trembler vraiment ou qui ne mette en branle la si insondable et merveilleuse machine de la catharsis théâtrale. Pourtant, on sait qu’Olivier Py n’a de cesse de se livrer à une réflexion sur le statut de l’œuvre de l’art au milieu de cette fange. Alors qu’il a entre ses mains cette si belle bombe atomique théâtrale et culturelle que doit être le Festival d’Avignon, on en attendait plus, beaucoup plus, pour réveiller les consciences et faire frémir les cœurs. 

Maud Sérusclat-Natale


Hacia la alegría [Vers la joie], d’après le roman Excelsior d’Olivier Py, publié aux éditions Actes Sud

Texte et mise en scène : Olivier Py

Traduction : Fernando Gómez Grande

Avec : Pedro Casablanc

Musiciens : Preslav Ganev, Desislava Karamfilova, Petya Kavalova et Stamen Nikolov

Musique : Fernando Velázquez

Scénographie et costumes : Pierre-André Weitz

Lumière : Bertrand Killy

Assistanat à la mise en scène : Luis Blat et Andrea Delicado

Réalisation des décors : NEOescenografia SL

Technique : Giovanni Colangelo, Cesar Esteban, Ruben Muino

Photo : © Ros Ribas

L’Autre Scène du Grand-Avignon à Vedène

Réservations : 04 90 14 14 14

Les 7, 8, 9, 10, 12, 13 et 14 juillet 2015 à 18 heures

Durée : 1 h 15

10 € | 28 €

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