« Hold on », écriture collective du Laabo, la Manufacture à Avignon

Hold on © Laurent Dubin

Le téléphone comme torture

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Quel impact peut avoir la standardisation du travail sur l’individu ? Le Laabo s’est penché sur le cas concret d’un centre d’appels. Un excellent spectacle qui dénonce, sur un mode décalé, la cruauté des nouvelles méthodes managériales.

Sur cette plate-forme téléphonique fraîchement relocalisée en France, « tout le monde s’appelle Dominique et on se tutoie, c’est la règle ». Le ton est donné ! Derrière la convivialité de façade, l’humiliation est à son comble parce que, en matière d’organisation du travail, vendre de la mutuelle par téléphone ne s’improvise pas. Chaque appel doit durer trois minutes. Ni plus ni moins. L’argumentaire est bien huilé, les mots choisis. Et puis « souris, ça s’entend » (même si t’as envie de pleurer). Il faut bien « exploser » les objectifs…

De violence, il en est question dans ce spectacle. Celle, pernicieuse, de nouvelles méthodes de travail. Dans Hold on, on suit trois jeunes employés d’un centre d’appels, depuis leur formation jusqu’à leur licenciement, en passant par les relations, forcément tendues, entre collègues. Fous rires et crises de nerfs au programme ! Écoutés, ils doivent respecter le script à la lettre. Observés, ils doivent tricher pour être bien vus. Notés, ils doivent prendre sur eux pour accélérer la cadence, se battre pour remporter la prime de Noël, un sapin tout miteux avec ses boules.

Parcours croisés, scènes de groupe cocasses, entretiens individuels, zooms intimistes, ce sont autant de séquences flash, comme le rythme des machines modernes qui imposent un rendement. Résultat gagnant ! L’espace du plateau, à dominante noire, est strictement délimité par des cadres blancs récréant « l’open space ». La lumière très découpée, les angles bien marqués, créent un univers aseptisé. Un dispositif efficace qui traduit bien l’enfermement ainsi que l’imbrication entre la sphère privée et publique. La mise en scène, au cordeau, s’organise principalement autour de trois tables de travail et trois chaises. Pour dépersonnaliser les employés : une gestuelle et un langage codifiés, savamment synchronisés. Comme la lumière, la bande-son est une pierre angulaire du spectacle : sonneries, hallucinations auditives, acouphènes, bruits permanents mettent sous tension permanente. Les acteurs exécutent leur partition avec une parfaite maîtrise du rythme. C’est tout à la fois visuel, sonore, chorégraphique et éminemment théâtral.

S’accrocher

Qui n’a jamais été agacé par ces appels intempestifs et… raccroché ? Mais derrière ces combinés se trouvent des hommes et des femmes. Si Hold on dénonce l’absurdité du système, il défend aussi ces individus broyés, puis jetés comme des malpropres. Hold on a un double sens : « ne quittez pas », mais aussi « accrochez-vous ». Pas « raccrochez », mais « résistez ». Restez humains. Heureusement, des grains de sable grippent la machine. Du coup, c’est grinçant à souhait.

Ces travailleurs des temps modernes tentent de tenir par tous les moyens, y compris par des coups bas, car tous veulent monter d’un échelon. Ainsi, le téléopérateur humilié devient un manager sadique, en un tour de main, avant de redescendre d’un cran. Quel que soit leur statut, tous apparaissent comme des victimes, mais le renversement des rôles, le ton décalé, rendent les situations très drôles.

Fruit d’une écriture collective à partir d’improvisations et d’une recherche sur le terrain, cette première création du Laabo, qui aime explorer un thème par le mouvement, est une réussite totale : utilisation fort à propos de la sémantique guerrière, dialogues percutants, mise en scène inspirée, jeu virtuose. Car les trois comédiens sont formidables. Précis et convaincants, ils captent l’attention du public de bout en bout. Et on ne décroche pas une seule seconde. 

Léna Martinelli


Hold on, écriture collective

Le Laabo

Contact diffusion : Stéphane Berthier

06 21 52 31 78

stephane@lelaboo.com

Site : www.lelaabo.com

Mise en scène : Anne Astolfe

Avec : Anne Astolfe, Pascale Fournier, Gaëtan Gauvain

Régie son : Maxime Gauthier

Régie lumières : Julie‑Lola Lanteri

Assistante : Léa Fernandes

Photo : © Laurent Dubin

La Manufacture • patinoire • 2, rue des Écoles • 84000 Avignon

Réservations : 04 90 85 12 71 • 06 98 86 90 96

Site du théâtre : www.lamanufacture.org

Du 8 juillet au 27 juillet 2013, du mardi au samedi à 16 h 55, relâche le 17 juillet

Durée : 1 h 35 (trajet en navette compris)

17 € | 12 €

À partir de 10 ans

http://vimeo.com/55685867

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