« Ici, il n’y a pas de pourquoi », d’après Primo Levi, le Lucernaire à Paris

Ici, il n’y a pas de pourquoi © Richard Hannard

Poignant

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

L’interprétation par un Noir du texte de Primo Levi sur la Shoah donne une portée universelle au propos et met en lumière son actualité.

De son année de détention à Auschwitz en 1944-1945, le rescapé Primo Levi a rapporté un ensemble de souvenirs publiés en 1947 sous le titre Si c’est un homme. En 1966, le dramaturge italien Pieralberto Marché scénarise l’œuvre et la produit au théâtre. Aujourd’hui, le comédien et metteur en scène Tony Harrisson décide d’adapter l’adaptation en gommant les références historiques et la couleur locale pour créer un spectacle intemporel sur l’univers des camps. On pourrait être en Pologne en 1944 aussi bien que dans un goulag stalinien ou dans la cale d’une caravelle du commerce triangulaire en 1550 : à n’importe quel endroit où des hommes regardent d’autres hommes comme des objets. L’exercice est périlleux, mais la transposition est subtile et évite les écueils de la banalisation ou de l’outrance.

Que peut nous apporter de plus l’art dramatique quand, déjà, l’écrit dit tout ? C’est par ses excellentes intuitions rythmiques, mimiques et gestuelles que Tony Harrisson se distingue. Il est intelligemment secondé par le percussionniste Guitòti qui nous donne à entendre le hang, instrument hybride entre le gong, le gamelan, le tambourin, la cloche ou la scie musicale et inventé… à Berne, en Suisse *. La scénographie et l’univers sonore minimalistes laissent tout l’espace nécessaire au seul en scène, organisé autour d’un thème central : la régression de l’homme vers l’animalité, de minute en minute, dans ce contraire d’incubateur qu’est le système concentrationnaire. La voix très douce du personnage fait écho aux mots de Levi écrits « sans haine mais sans pardon non plus ».

« Comment pouvait‑on frapper un homme sans colère ? »

Certaines phrases de l’auteur résonnent avec une acuité particulière grâce à cette mise en voix talentueuse. On regrette toutefois que les assertions les plus intéressants, notamment cette citation si percutante, ne soient pas davantage creusés et développés. De même dans la gestuelle, il y a des trouvailles incontestables, mais aussi des attitudes qui dénotent et qui auraient pu être relues par un chorégraphe (par exemple la posture des pointes de pied et des talons qui est parfois un peu contradictoire avec le propos). Soyons indulgents : ce spectacle a une ambition immense, et ses créateurs sont doués. Quelques mises au point lui permettraient d’accéder à un résultat de très haut niveau. 

Élisabeth Hennebert

* Note rectificative de Guitòti : il y a une petite erreur à propos de l’instrument, le hang. C’est en fait un mélange entre le steelpan des Caraïbes et la gatham d’Inde, du moins, c’est uniquement de ces deux instrument que ce sont inspirés les créateurs suisses.


Ici, il n’y a pas de pourquoi, d’après l’adaptation théâtrale de Si c’est un homme de Primo Levi et Pieralberto Marché

Cie Arkenciel

www.arkencielcompagnie.com

Adaptation : Tony Harrisson et Cecilia Mazur

Mise en scène et interprétation : Tony Harrisson

Scénographie : William Jean‑Baptiste

Musicien : Guitòti

Création lumières : Dan Imbert

Photo : © Richard Hannard

Le Lucernaire • 53, rue Notre‑Dame-des‑Champs • 75006 Paris

Réservations : 01 42 22 66 87

Site du théâtre : www.lucernaire.fr

Métro : ligne 12, station Notre‑Dame-des‑Champs, ligne 4, stations Vavin ou Saint‑Placide et ligne 6, station Edgard‑Quinet

Jusqu’au 13 mai 2017, du mardi au samedi à 21 heures

Durée : 1 h 5

26 €, 21 €, 16 € et 11 €

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