Jazz à l’Étage 2013, avec Mina Agossi et Rémi Panossian, chronique no 2, à Rennes et Saint‑Malo

Mina Agossi @ Jean-François Picaut

Jazz on the rock

Par Jean‑François Picaut
Les Trois Coups

Pour sa deuxième journée, Jazz à l’Étage emprunte les habits du blues et du rock, avec deux trios bourrés d’énergie et de talent.

Mina Agossi trio : blues, rock et fantaisie

On attendait Red Eyes, l’excellent dernier album de Mina Agossi chez Naïve, mais ce fut un superbe concert éclectique et rétrospectif. Vous vous étonnez : « Rétrospectif ? ». Eh oui ! On a du mal à l’imaginer tant elle a l’air juvénile, mais Mina Agossi aura bientôt vingt ans de carrière derrière elle.

La chanteuse subjugue d’entrée de jeu son public en interprétant a cappella Stoppin’ the Clock de Roy Kral et Fran Landesman en souvenir d’un de ses passages à Rennes, il y a environ une décennie. La voix est claire, puissante, et expressive. Elle présente les deux autres membres de son trio : Éric Jacot (contrebasse), son complice depuis bientôt dix ans, et celui qu’elle qualifie « d’ange blond », Simon Bernier, à peine vingt‑deux ans, à la batterie.

Le chant dans sa plénitude

Bientôt, ce sera une version toute personnelle de Waters of March (Antônio Carlos Jobim). Éric Jacot y exploite toutes les ressources de sa contrebasse, dont il frappe les cordes à l’archet puis dont il joue en dessous du chevalet. Tout est mis en œuvre pour obtenir l’effet maximum. Mina Agossi y déploie tous les trésors de sa voix, grave, rauque ou claire et parfois enfantine. Elle accompagne son chant d’une gestuelle et de mimiques très expressives. Quand elle laisse la place aux instruments, elle se joint au batteur et n’hésite pas à ponctuer telle ou telle phrase de petits cris. C’est le chant dans sa plénitude.

Cependant Red Eyes n’est pas oublié. Elle en interprète le titre éponyme. Ici, sur le rythme lancinant de la batterie et de la contrebasse, Mina module son chant jusqu’à la plainte en étirant parfois le son à la limite de la rupture. Puis c’est, tiré du même album, l’extraordinaire Sleep Babe Blues, une de ses compositions. La contrebasse assure à la fois le rythme et la mélodie, la batterie répète un même motif. Et tout l’espace est occupé par la voix de Mina, qui déploie ici toutes ses ressources, passant du grave à la voix de tête. Elle scatte aussi et imite même la trompette bouchée. Le public, très nombreux, se tord le cou pour essayer de l’apercevoir. Ce ne sont pas les écrans relais en plan panoramique fixe qui l’y aident beaucoup.

Il y aura encore Third Stone from the Sun de Jimi Hendrix avec son introduction susurrée, murmurée, avant que la batterie et la contrebasse ne fassent leur entrée tonitruante et que la puissance vocale ne monte graduellement. Dans ce morceau, on entendra aussi des vocalises. Enfin, on retiendra J’aimerais tant, venu de Just Like a Lady (Naïve, 2010). Cette superbe chanson en français, interprétée sur le ton de la confidence, est délicatement modulée et sonne un peu comme un au revoir. Un tel concert, gorgé d’émotions, ne saurait finir platement. Nous aurons donc droit en rappel à une interprétation très, très personnelle de When the Saints, où Eric Jacot lui-même chantera, façon rocker sous pression. Bravo et merci, Mina.

Rémi Panossian © Jean-François Picaut
Rémi Panossian © Jean-François Picaut

Bbang par le Rémi Panossian Trio : énergie et fantaisie

On ne quitte pas l’aire d’influence du rock et des musiques actuelles grâce au trio toulousain de Rémi Panossian (piano) avec Maxime Delporte (contrebasse) et Frédéric Petitprez (batterie).

Le dernier album de Rémi Panossian s’appelle Bbang, avec deux « b » comme en Corée du Sud. Cet opus produit par Plus loin Music porte bien son nom. Il tient, et au-delà, les promesses du précédent, Add Fiction, c’est de l’explosif. Le jury des victoires du jazz pourrait bien y songer pour la Révélation de l’année tant l’effet sur le public est électrisant.

Une musique très visuelle

On sait que la caractéristique du Rémi Panossian Trio, c’est une musique très visuelle, cinématographique. Rémi lui-même cite parmi ses références culturelles, outre les grands pianistes du jazz, un peintre comme Magritte ou des cinéastes comme Woody Allen et John Cassavetes. On s’en rend compte dès Islay Smoky Notes, qui ouvre le concert de ce soir et que Rémi Panossian présente avec beaucoup d’humour. Il montre déjà cette succession d’atmosphères différentes caractéristiques du groupe. Cet hommage à un précieux breuvage malté, justement apprécié du trio, met en valeur la qualité des trois protagonistes dans des passages d’une grande délicatesse. On retrouvera plus tard de tels passages dans Healthy Cab, ce taxi bénéfique pour la santé à l’histoire peu banale. Cependant, c’est sans doute dans Run Away (« Fous le camp » ou « Dégage ! »), bel exemple de contrebasse mélodique, que l’on trouve les successions de contrastes les plus frappantes avec ces vraies ruptures de rythme ou de mélodie revendiquées par le trio. Il s’agit de surprendre sans cesse l’auditeur ou le spectateur. Pour une traduction en images réelles, on ne saurait trop conseiller de se reporter aux petits bijoux de clips concoctés par Maxime Delporte, le contrebassiste.

Biberonné aux musiques actuelles

L’autre influence patente de cet album, ce sont les musiques issues du rock, de la soul, du hip-hop, etc. Comme toute sa génération, ce trio de trentenaires (Panossian, le plus jeune, a eu trente ans il y a quelques jours) a été biberonné aux musiques actuelles. Cela s’entend clairement, à la batterie et au piano, dans des pièces comme BBQ, Beside the Blue Box ou Shikiori. Ce dernier morceau a été particulièrement brillant dans son interprétation, ce soir. On y a beaucoup apprécié le travail de Frédéric Petitprez aux cymbales et la façon dont il transforme sa batterie en un ensemble de percussions. Ce fut aussi un bon exemple de la façon dont Rémi Panossian, dans un jeu qui peut être très spectaculaire, exploite toutes les possibilités percussives et mélodiques de son piano, n’hésitant pas à travailler directement sur les cordes de l’instrument ou à transformer ses structures en percussions. Beside the Blue Box mérite qu’on s’y attarde un instant à un autre titre. Ce morceau forme, en effet, un diptyque avec Inside the Blue Box. Les trois compères se sont amusés à reprendre la même mélodie dans les deux pièces avec un traitement rythmique et esthétique totalement différent : de la belle ouvrage !

Et cela nous conduit à nos dernières remarques sur cet album qu’on n’en finit pas de découvrir. Trois petites pièces sobrement intitulées Improvisation 1, 2 et 3 sont tout simplement des captures de moments de respiration où chacun se laisse aller à son inspiration, entre deux enregistrements. On y découvre un véritable travail sur la matière sonore que ne renierait pas la musique contemporaine et un des secrets qui font la cohésion du groupe : la qualité de l’écoute mutuelle.

Avec cette soirée, Jazz à l’Étage a prouvé avec éclat que le jazz peut s’abreuver aux racines populaires sans renoncer à la qualité la plus exigeante. Nul doute que la démonstration ne sera parachevée demain soir avec Kellylee Evans. 

Jean-François Picaut


Red Eyes, par Mina Agossi (un album Naïve)

Bbang, par Rémi Panossian (un album Plus loin Music)

Jazz à l’Étage, 4e édition, 2013

Du 13 au 17 mars 2013

À Rennes, dans diverses villes de Rennes-Métropole, à Saint‑Malo

Association Jazz35

Festival Jazz à l’Étage

http://jazzaletage.com/

Photos : © Jean‑François Picaut

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