« Kadoc », de Rémi De Vos, Théâtre du Rond-Point à Paris

Kadoc-Rémi-De-Vos-Jean-Michel-Ribes © Giovanni Cittadini Cesi

Bien sous tous rapports

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Cruelle satire du monde de l’entreprise, « Kadoc » est une pièce loufoque de Rémi De Vos sur le monde du travail. Un divertissement efficace mis en scène par Jean-Michel Ribes, en pleine forme.

Tous les matins, un employé d’une importante entreprise voit un personnage étrange assis à sa place, dans son bureau. Fantasme ? Lubie ? Aucun doute, il est à bout. Sous pressions. Mais cette hallucination liée à son épuisement au travail va contaminer tout le service. D’obsessions en manies, la pièce s’emballe jusqu’à la névrose collective. L’entreprise rend fou ! La perversité des rapports hiérarchiques n’induit-elle pas des comportements limites ?

Les pièces de Rémi De Vos sont régulièrement montées au Rond-Point : Jusqu’à ce que la mort nous sépare, Sextett, Débrayage, Occident ou récemment Toute ma vie j’ai fait des choses que je savais pas faire. Pour sa dernière pièce, c’est au tour de son directeur de la mettre en scène, car son esprit ne pouvait qu’inspirer Jean-Michel Ribes : « Le monde du travail, Rémi de Vos ne le moralise pas, il n’en tire ni leçon ni message, bien mieux, il nous en dévoile son extravagante absurdité. Peu d’auteurs font de même, sans doute terrorisés à l’idée qu’ils risquent de faire rire. »

La dérision comme issue de secours

Depuis ses débuts, cet auteur prolifique écrit sur le sujet. Cette fois-ci, il choisit la forme du vaudeville. Il a effectivement pris le parti d’en rire et de lui appliquer la mécanique du rire propre à ce genre théâtral. De quiproquos en coups de théâtre, les trois couples, dont chacun des maris travaille chez Krum, à des postes hiérarchiquement différents, valsent jusqu’à faire basculer cette comédie en un savoureux délire.

La violence exercée sur le lieu de travail, s’exprime souvent dans le cadre intime où elle s’évacue plus facilement. Ici, les conflits vécus dans les activités professionnelles entrent directement en résonnance avec la sphère personnelle : burn-out qui se transforme en dé-pressions d’un autre style ; luttes de pouvoirs révélatrices de frustrations… Résultat : le chef tyrannique est dominé par une femme complètement givrée et son subalterne, prêt à tout pour gravir les échelons, va tenter de prendre sa revanche en le rivalisant sur ce terrain, à l’occasion d’un dîner complètement déjanté qui détourne les codes de la compétition. Quant au souffre-douleur, il n’est pas au bout de ses surprises. Bref, les convenances dérapent vite jusqu’au chaos généralisé qui aboutit à un total renversement du pouvoir.

Kadoc-Rémi-De-Vos-Jean-Michel-Ribes © Giovanni Cittadini Cesi
© Giovanni Cittadini Cesi

En effet, comment s’en sortir quand le cynisme prend le pas sur la mise à distance salutaire ? Quand la loi de la jungle remplace celle du travail ? Le grotesque s’infiltre là où se brouillent les frontières entre la réalité et l’imaginaire. Les aspects surréalistes de la situation se traduisent par une outrance, à la fois dans le jeu et dans les propositions scénographiques.

L’ascension sociale révélatrice des bassesses humaines

La politesse méticuleuse de l’employé ou le torrent d’injures de Nora appellent aussi un traitement autre que le réalisme. Le spectacle est d’ailleurs servi par une très belle distribution : Caroline Arrouas et Yannik Landrein incarnent les Schmertz ; le malicieux Jacques Bonnaffé est un tyran décalé bien comme il faut et Marie-Armelle Deguy excelle dans le rôle de sa femme Nora ; les Goulon, avec le carriériste lâche et sa pimbêche de femme sont interprétés par l’hilarant Gilles Gaston-Dreyfus et l’irrésistible Anne-Lise Heimburger, qui apportent tous deux beaucoup de piment.

Kadoc-Rémi-De-Vos-Jean-Michel-Ribes © Giovanni Cittadini Cesi
© Giovanni Cittadini Cesi

Particulièrement réussi, l’impressionnant décor sur deux niveaux permet aux acteurs d’évoluer à la fois à leur domicile et dans l’entreprise. Entre Tati et Dali, le hall « rétrofuturiste » est clinquant à souhait. Véritables éléments de mise en scène, les escaliers font s’imbriquer les sphères privées / publiques et progresser le jeu : l’un s’impose, marche après marche, avant de dégringoler ; l’autre se déhanche pour mieux s’élever ; l’autre, encore, menace de se jeter dans le vide. Savant équilibre ! Et les costumes kitchs contribuent aussi au charme général.

La mise en scène haute en couleurs sert donc parfaitement la pièce de Remi de Vos. Ce dézingage en règle démontre de façon implacable comment les névroses de l’entreprise influent sur nos comportements et nos rapports, qu’ils soient sociaux ou intimes. Sans didactisme mais avec malice et talent. 

Léna Martinelli


Kadoc, de Rémi De Vos

Le texte est édité chez Actes Sud

Mise en scène : Jean-Michel Ribes

Avec : Caroline Arrouas, Jacques Bonnaffé, Marie-Armelle Deguy, Gilles Gaston-Dreyfus, Anne-Lise Heimburger, Yannik Landrein

Scénographie : Sophie Perez

Costumes : Juliette Chanaud

Lumières : Hervé Coudert

Coiffures : Nathalie Eudier

Son : Guillaume Duguet

Assistanat à la mise en scène : Olivier Brillet

Durée : 1 h 30

Théâtre du Rond-Point • Salle Renaud-Barrault • 2 bis, avenue Franklin-Roosevelt • 75008 Paris

Du 26 février au 5 avril 2020, du mardi au samedi à 21 heures, dimanche à 15 heures, relâche le lundi, les 1er, 3 et 29 mars

Réservations : 01 44 95 98 21 ou en ligne

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