« la Cenerentola » de Gioachino Rossini, Opéra de Lyon

« La Cenerentola » de Rossini © Jean-Pierre Maurin

Conte de fête !

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Le très talentueux quadragénaire norvégien Stefan Herheim met en scène le chef-d’œuvre de Rossini dans une production débordante d’imagination.

Inspirés par les versions de Charles Perrault et des frères Grimm, empruntant quelques situations à Marivaux sans en reproduire les raffinements psychologiques, le compositeur italien et son librettiste prennent de savoureuses libertés avec les contes d’origine. Pas de marâtre pour Cendrillon, mais un parâtre cupide et buveur. Pas de pantoufle de vair, mais deux bracelets d’argent. Pas de fée transformant une citrouille en carrosse pour se rendre au bal du prince, mais la complicité bienveillante d’un philosophe travesti en mendiant. Enfin, un valet prenant la place du prince pour faire échouer les ambitions des deux demi-sœurs d’Angelina, alias Cenerentola, et révéler les qualités de cette dernière.

Un air d’émancipation

Ainsi renouvelée, l’histoire ouvre des perspectives de grande liberté pour le metteur en scène Stefan Herheim, qui s’en donne à cœur joie pour inventer un spectacle débridé, malicieux et esthétiquement magnifique. Ses complices à la scénographie, aux costumes, aux lumières et à la vidéo font preuve d’une créativité extraordinaire.

C’est à Rossini lui-même que Herheim confie la conduite de la représentation. Qui plus est, il en multiplie l’image, en faisant du chœur d’hommes nécessaire à cet opéra une bande de sosies… de Rossini. Apparu tel un demi-dieu descendant du ciel, le maestro fait tomber des nues le livre de Cendrillon et le met entre les mains d’une technicienne de surface qui balaie le plateau. Elle ouvre le récit et, emportée par sa curiosité, choisit de s’identifier au personnage de la jeune et belle souillon.

À partir de cette astucieuse et humoristique trouvaille dramaturgique, la route est dégagée pour investir la scène en toute fantaisie, sans oublier la dure réalité de la condition de l’héroïne. La Cenerentola, lors de sa toute première représentation en 1817, était présentée comme une illustration du triomphe de la bonté pour échapper à la censure ; Stefan Herheim construit aujourd’hui le portrait complexe d’une femme fascinée par la lecture du conte et en même temps engagée dans un combat pour son émancipation. Certes généreuse et magnanime, elle ira jusqu’à endosser la robe de mariée que lui propose le prince, mais c’est en blouse de ménage qu’elle reviendra aux saluts. L’illusion de la fiction a cessé d’opérer.

« La Cenerentola » de  Rossini © Jean-Pierre Maurin
« La Cenerentola » de Rossini © Jean-Pierre Maurin

Champagne pour tous

Cette production possède la saveur d’une coupe de champagne bien frappée, bien que le très court second et dernier acte, pauvre en nouvelles situations dramatiques, voit s’étioler un peu les bulles pétillantes de la mise en scène. Toutefois, ce cru millésimé garde suffisamment ses frémissantes saveurs, trois heures durant, pour qu’on prenne plaisir à le déguster sans modération.

Citant avec brio les codes de l’opéra, comme ceux de la comédie musicale, de l’opérette, du dessin animé, du cinéma muet ou du livre pour enfants, la Cenerentola, drôle, émouvante et virevoltante, emporte l’adhésion. Saluons pour finir : la direction musicale espiègle, haletante et rigoureuse de Stefano Montanari ; l’interprétation fluide, précise et distancée de Michèle Losier (Angelina), se jouant magnifiquement des « échelles » vocales vertigineuses de la partition ; le solide et impétueux travail de Renato Girolami (Rossini/Don Magnifico), basse remarquable, capable de marier autorité, humour et désarroi. L’Opéra de Lyon peut être remercié pour ce somptueux cadeau de fin d’année. 

Michel Dieuaide


La Cenerentola, de Gioachino Rossini

Direction musicale : Stefano Montanari

Mise en scène : Stefan Herheim

Décors : Daniel Unger et Stefan Herheim

Costumes : Esther Bialas

Lumières : Phoenix (Andreas Hofer)

Dramaturgie : Alexander Meier-Dörzenbach

Vidéo : fettFilm (Torge Möller et Momme Hinrichs)

Chef des chœurs : Barbara Kler

Orchestre et chœurs de l’Opéra de Lyon

Avec : Cyrille Dubois (Don Ramiro), Nikolay Borchev (Dandini), Renato Girolami (Don Magnifico), Clara Meloni (Clorinda), Katherine Aitken (Tisbe), Michèle Losier (Angelina), Simone Alberghini (Alidoro)

Production : Opéra de Lyon

Coproduction : Opéra d’Oslo

Opéra de Lyon • place de la Comédie • 69001 Lyon

Réservations : 04 69 85 54 54

Représentations : du 15 décembre 2017 au 1er janvier 2018

Durée : 3 heures avec entracte

Tarifs : de 10 € à 108 €

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