« La Crèche à moteur », de la Compagnie Opus, Théâtre de la Coupe d’Or à Rochefort

Jésus-creche-a-moteur-Didier-Goudal

Un petit miracle 

Par Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups

On découvre cette fabuleuse crèche brimbalante, comme on entrerait dans un entre-sort forain : à pas prudents, curieux et émerveillés. Un spectacle mythique de la compagnie OPUS (Office des Fabricants d’Univers Singuliers), aussi précieux qu’un bijou de famille.

Dans les fauteuils d’orchestre du théâtre bonbonnière de la Coupe d’Or, les spectateurs attendent, suspendus au discours d’accueil de l’imposant Monsieur Romet (Pascal Rome) du Conservatoire des Curiosités. Sur l’avant-scène trône un « tube », le célèbre véhicule Citroën. On brûle de voir ce qu’il nous cache. Il faut dire que le spécialiste des « artistes imaginaires et autodidactes inspirés du bord des routes », pratique une délicieuse poétique du préchauffage. Il nous présente d’abord son assistant souffre-douleur, puis fait monter sur le plateau une petite clique tout droit débarquée de Ménétreux, le petit village où sévissait le créateur de cette incroyable crèche mécanisée, Raoul Huet, dit aussi « le diable rouge » ou « le r’nard ».

Le préambule nous emporte doublement à bord de ce « théâtre roulant de marionnettes automatiques » : non seulement il fait grimper le désir de voir la « chose », « l’extraordinaire » Raoul Huet ; mais aussi, comme souvent chez OPUS, il rend un hommage touchant à la persévérance humaine, à tous ces modestes mordus qui mettent leur bonne volonté et leur enthousiasme au service du collectif pour la beauté du geste et de l’art.

Éloge de la curiosité

Au terme d’un tirage au sort « démocratique », on entre enfin dans le mystérieux lieu dissimulé derrière le véhicule. Nos cinq humbles présentateurs tentent de reconstituer le rituel de Raoul Huet à partir de leurs souvenirs d’enfance. Cette équipée de bras cassés pratique une solidarité et un humour inénarrables. Les saillies fusent, carburent au fuel du bon sens et de la bonne franquette. Le patrimoine reprend des couleurs. 

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© Didier Goudal

Mais alors, qu’est-ce qu’il nous est donné à voir ? Du pas grand-chose et du grandiose. De la bricole et du génie. Du petit rien qui secoue, de la merveille qui claque, du gag, du mystère et du terriblement bien vu. On navigue entre nostalgie du « faire simple » et éloge du « joliment compliqué ». Ici, on aime « se nicher dans le nid du sacré pour y pondre les œufs du païen ». Suffit de dire qu’on y croise une banane géante avec pagne et queue de renard, le petit Jésus, des patates à pattes et une Tour Eiffel en os. De l’inanimé, de l’animé et de l’imaginaire : quelque chose comme la mort qui danse. On devine l’admiration pour les œuvres du Facteur Cheval, de Gaston Chaissac ou du Petit Pierre. 

« La culture c’est comme une petite graine » (Huet)

La reprise de ce spectacle culte, créé en 2003 et qui a écumé les routes, offre un feuilletage de plaisirs. D’abord, il ressuscite bien sûr notre regard d’enfant. Et ce n’est pas un petit cadeau par les temps qui courent. La crèche proprement dite contient mille véritables perles d’art brut. Elle offre par ailleurs une croquignolette mise en abîme : comme la « pièce de musée » de Huet que nous vend l’histoire, cette crèche n’avait pas joué depuis plus de quinze ans. Il a donc bien fallu retrouver les mots, retaper les œuvres plastiques, désosser et remonter le camion. La compagnie procède à l’archéologie de son propre spectacle. Enfin, les interprètes transpirent toujours la générosité et le plaisir du jeu. Chantal Joblon, qu’on avait tant admirée dans La Veillée, est ici encore exceptionnelle.

La marque de fabrique d’OPUS est bien là : savoureuses correspondances entre le réel, le vrai faux et le faux vrai. Ce que cette équipe fantastique nous donne à voir le mieux, c’est sans doute la porosité entre la vie et l’art, la fragilité d’un entracte autour d’un vin chaud, la puissance de la rencontre avec l’autre, la mécanique du fragile. Dit plus simplement : la convivialité. Cette compagnie donne beaucoup. Rouages et ficelles comprises. On aime passionnément ce drôle de bazar où l’art se partage dans une facétieuse intimité. L’imaginaire dorloté, on ressort dans un état de béatitude mécréante ! 

Stéphanie Ruffier


La Crèche, de la cie OPUS

Site de la compagnie

« Phabrication » d’histoire, conception, mise en jeu et scénographie : Pascal Rome

Avec : Pascal Rome, Ronan Letourneur, Dominique Giroud, Julien Pillet, Mathieu Texier, Thierry Faucher dit Titus, Chantal Joblon

« Phabrication » d’objets, régie lumière et son : Bertrand Boulanger, Anne Chignard, Nicolas Darrot, Léopold Diaz, Nicolas Diaz, Jean-Baptiste Gaudin, Éric Guérin, Jean-Pierre Larroche, Luis Maestro, Frédérique Moreau de Bellaing, Boa Passajou, Julien Pillet, Alexandre Robbe, Pascal Rome, Titus, Virginie

Durée : 1 h 20

À partir de 10 ans

Théâtre de la Coupe d’Or • 101, rue de la République • 17300 Rochefort

Du 14 au 18 décembre 2021, à 20 h 30 puis tournée

Réservations, coproduction et soutien à la repise) : 01 46 06 08 05

Tournée 2022 :

À découvrir sur Les Trois Coups :

 Pourquoi les vieux, qui n’ont rien d’autres à faire, traversent-ils au feu rouge? du collectif 2222, par Stéphanie Ruffier

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