« la Cuisine d’Elvis », de Lee Hall, Théâtre des Déchargeurs à Paris

la Cuisine d’Elvis © Pierre Rigae

Les pieds dans le plat (du King)

Par M.‑A. L.M.
Les Trois Coups

Certaines pièces mettent franchement l’eau à la bouche. L’expectative d’y assister plonge le spectateur dans une attente joyeuse. C’est le cas pour « la Cuisine d’Elvis », qui se joue actuellement au Théâtre des Déchargeurs jusqu’au 19 juin 2010. Avouons que l’attente était, avant la représentation, plus que positivement nourrie. Puis, le rideau s’est levé et les cinq premières secondes ont annoncé la couleur d’un peu plus d’une (longue) heure de soupe.

Lee Hall est un auteur incontournable. Il est de ce genre d’artistes qui réussit le tour de force de s’inscrire dans une démarche magnifiquement personnelle quoique redoutablement marquée par son époque et sa culture. Lee Hall est un auteur britannique : cela se ressent délicieusement. Fantaisie des situations et des personnages, excès, humour ravageur… on frôle régulièrement l’univers de Pinter dans la langue, la terreur, l’angoisse et les trop-pleins. Jouissif.

Scénariste de Billy Elliot, dramaturge du superbe Face de cuillère (dans lequel Romane Bohringer fut magistralement mise en scène par Michel Didym en 2006, au Théâtre de la Ville), Hall collabore régulièrement à l’écriture de scénarios (Orgueil et préjugés, Bridget Jones) et de textes musicaux (notamment avec Sir Elton John).

Une enfant qui refuse de grandir et une mère le temps qui passe, un père légume, un amant inconstant (incapable de savoir où donner de la tête) sont les ingrédients de base de la Cuisine d’Elvis. Ajoutez à cela une noix de sexe, une rasade d’excès, un soupçon de douce fantaisie et d’amour, des rapports fusionnels avec l’alimentation, l’alcool puis quelques gouttes de vie : vous obtenez de quoi générer, à coup presque sûr, un franc succès.

La mise en scène, quoique classique, se trouve être relativement efficace. Rien de bien compliqué. Le texte reste, de ce fait, à sa juste place et les fioritures sont exclues. Décors et costumes (conçus par le duo Marion Thelma – Louise‑Alice Véret, respectivement scénographe et costumière et qui forment le binôme artistique Thelma et Louise (amusant), manquent vraisemblablement de moyens. Voilà qui importe peu, puisque la scénographie, originale et mobile, réussit cependant à produire une atmosphère so british, intimiste.

Tout était là, du texte au théâtre (les Déchargeurs plutôt audacieux dans leurs choix de programmation), des décors à la mise en scène… aucun ingrédient ne manquait pour que la sauce prenne en cette Cuisine d’Elvis. Mais voilà : l’interprétation des comédiennes (Alexandra Bensimon et Anne Puisais) laisse franchement à désirer. Et la déception ne se fait sentir que trop vite. Chaque scène est annoncée précisément de la même manière : sans la moindre surprise et avec une pointe de vulgarité totalement hors sujet. Le conflit entre la mère et la fille transpire dans le texte, il n’est donc certainement pas nécessaire d’en rajouter à ce point ! L’agressivité n’a jamais eu sa place au théâtre, à moins d’y mettre des nuances, de la subtilité dans le jeu. L’aménagement de temps, d’atmosphères autres auraient pu générer intérêt et écoute, jusqu’à emporter vers la folie, propre à la fin de cette pièce. Le manque de rythme, de variation dans le ton, certaines répliques qui sonnent faux… les deux comédiennes donnent à voir une seule couleur, la même dès le début : toute montée en puissance devient alors impossible.

On se demande, par moments, si les répétitions ont été efficaces, tant les maladresses s’accumulent. Des éléments du décor voltigent à plusieurs reprises, bafouillages et gestes maladroits sont nombreux. En soi, cela importe peu… sauf si rien n’est fait pour camoufler, rattraper, gérer, voire tirer avantage de la situation. Les bruits générés par certains acteurs en coulisses (dont les personnages sont censés être géographiquement éloignés de l’action) parasitent l’écoute. Notons également la présence d’un cinquième individu, une petite tortue, auquel on ne croit pas une seconde, tant l’objet qui le matérialise est manipulé sans le moindre ménagement.

Les acteurs masculins (Éric Desré et Benoît Thévenoz) s’en sortent un peu mieux que les femmes. Cet état de fait est probablement dû à une distribution plus cohérente chez les hommes : le père et l’amant ont à peu près l’âge des rôles, mais, surtout, ils manifestent plus de rigueur dans leurs interprétations. Du côté des personnages féminins, on se demande pourquoi on a affaire à une mère si jeune, si peu marquée par la vie malgré la souffrance, et à une fille à ce point éloignée de l’ado attardée et boulotte qu’elle est censée être. L’accumulation de maladresses laisse supposer une démarche presque scolaire (digne d’un exercice d’élève de cours dramatique) et malheureusement loin d’être au niveau de ce que l’on attend d’une troupe professionnelle. 

M.‑A. L.M.


la Cuisine d’Elvis, de Lee Hall

Texte publié chez l’Arche éditeur

Traduction : Frédérique Revuz et Louis‑Charles Sirjack

Mise en scène : Régis Mardon

Assistante mise en scène : Laurence Porteil

Avec : Alexandra Bensimon, Anne Puisais, Éric Desré, Benoît Thévenoz

Création lumière : Thomas Jacquemart

Scénographie : Marion Thelma

Costumes : Louise‑Alice Véret

Photo : © Pierre Rigae

Théâtre des Déchargeurs • 3, rue des Déchargeurs • 75001 Paris

Réservations : 0892 70 12 28

Du 11 mai au 19 juin 2010, du mardi au samedi à 20 heures

Durée : 1 h 15

10 € | 22 €

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