« la Double Inconstance », de Marivaux, Comédie‑Française à Paris

la Double Inconstance © Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

Pauvre Marivaux !

Par Isabelle Jouve
Les Trois Coups

Anne Kessler, sociétaire de la Comédie-Française, a choisi de monter « la Double Inconstance » de Marivaux, pièce entrée au répertoire de ce théâtre en 1934. L’intention était bonne. Malheureusement, le reste n’est pas à la hauteur.

L’histoire est des plus simples. Sylvia, une jeune paysanne est amoureuse d’Arlequin, un jeune homme de son village. Le Prince, fou d’elle, l’a fait enlever et la retient dans son palais. Flaminia, une conseillère du Prince, va tenter de détruire l’amour sincère que se portent Sylvia et Arlequin. Elle n’aura pas beaucoup de mal à agir, car Sylvia lui avoue qu’elle s’est laissé séduire par un officier du palais. Ce dernier se révélera être le Prince en personne. De son côté, Arlequin va tomber amoureux de Flaminia. Tout est bien qui finit bien.

Du moins pour les personnages, car, en ce qui me concerne, je n’ai pas apprécié la dramaturgie extrêmement pesante et la mise en scène qui m’a l’air de passer à côté de ce qui fait tout le charme de cet auteur du xviiie siècle. En outre, ces deux heures et quart de spectacle sans entracte m’ont paru une éternité. Couper certaines scènes sans grande importance pour la compréhension aurait sûrement permis de rendre le propos plus tonique.

L’interprétation est lourde et inefficace. Les comédiens lancent leurs répliques sans réelle conviction, d’un ton plat et monotone. Ils ne semblent pas habités par leur rôle, et le public ne retrouve pas tout ce qui fait la saveur de Marivaux. L’une des rares à tirer son épingle du jeu est Adeline d’Hermy (Sylvia), qui est la plus crédible de tous.

Elle n’est pas faite pour une mise en scène si lente

La scénographie n’est pas convaincante. Dans tout le premier acte, un grand écran-miroir mobile occupe une partie du plateau. Y sont principalement inscrites les indications des séances de travail. Je n’en ai pas compris l’intérêt. Plus avant dans l’intrigue, ce même écran est remisé sur le côté de la scène, sans plus aucune utilité. Puis, il est réinstallé pour refléter l’image de certains des personnages. Pourquoi le scénographe n’est-il pas allé plus loin dans ce jeu de reflets ? Cet instrument aurait ainsi pris une autre dimension et fait partie intégrante de la mise en scène.

Presque tout au long de la pièce, six élèves-comédiens (trois filles et trois garçons) encombrent l’espace dans des saynètes superfétatoires. Ils passent et repassent pendant les répliques. Ou bien, ils sont assis en silence. Ou alors, ils épient derrière les fenêtres. Leur présence ne me paraît nullement indispensable. Mais, si elle l’était, n’aurait-il pas fallu les utiliser de manière plus pertinente afin qu’ils ne polluent pas les différents tableaux ?

Les habits des comédiens, très hétéroclites, tiennent plus du déguisement que du costume. Comme si chacun des acteurs s’était vêtu avec ce qui lui tombait sous la main. Par exemple, Flaminia est à la mode du xviiie siècle alors qu’Arlequin ressemble à un souteneur avec ses chaussures blanches et son chapeau. Ne parlons pas de Lisette, la sœur de Flaminia, dont la tenue n’est qu’une cacophonie de couleurs et de formes. Ce mariage du classique et du moderne ne convainc pas. Et c’est dommage, car l’idée est intéressante.

Les quelques musiques disparates choisies appuient de manière inélégante les changements de situation ou d’ambiance. Par exemple, on se demande pourquoi Sylvia et le Prince entament tout à coup un duo de danse connoté comédie musicale des années cinquante.

Marivaux, c’est une langue fine et subtile, débordante de rythme et de vitalité. Elle n’est pas faite pour une mise en scène si lente. Seuls les trois derniers quarts d’heure ont quelque peu réussi à me sortir d’une léthargie grandissante, bercée que j’étais par les ronflements sonores d’un proche voisin que personne n’osait réveiller. Marivaux mérite mieux que cela ! 

Isabelle Jouve


la Double Inconstance, de Marivaux

Mise en scène : Anne Kessler

Avec : Catherine Salviat (un seigneur), Éric Génovèse (Trivelin), Florence Viala (Flaminia), Loïc Corbery (le Prince), Stéphane Varupenne (Arlequin), Georgia Scalliet (Lisette), Adeline d’Hermy (Silvia), et les élèves-comédiens de la Comédie-Française Claire Boust, Ewen Crovella, Charlorre Fermand, Thomas Guené, Solenn Louër, Valentin Rolland

Assistant à la mise en scène : Gabriel Tur

Dramaturgie : Guy Zilberstein

Scénographie : Jacques Gabel

Travail chorégraphique : Glysleïn Lefever

Réalisation sonore et vidéo : Nicolas Faguet

Lumières : Arnaud Jung

Costumes : Renato Bianchi

Coiffures : Cécile Gentilin

Maquillages : Véronique Nguyen

Photo : © Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

Comédie-Française • place Colette • 75001 Paris

Réservations : 01 44 58 15 15

Site du théâtre : www.comedie-francaise.fr

Métro : lignes 1, 7, arrêt Palais-Royal Musée du Louvre

Du 16 octobre 2015 au 14 février 2016

Durée : 2 h 15

De 13 € à 41 €

À propos de l'auteur

Une réponse

  1. Nous l’avons vu l’année dernière et j’étais d’accord avec la majorité des critiques, ce spectacle a été plébiscité. Joyeux , enjoué, dépoussiéré. Je suis en général en accord avec les articles publiés ici dans les 3 coups. L’indépendance qui y règne est de bon aloi et je n’ai souvent rien à dire. Mais là je ne suis absolument pas d’accord. Ce spectacle mérite une autre critique. Avez vous lu l’idée de Anne Kessler qui a voulu qu’on soit dans le foyer théâtre de la comédie française pour évoluer au long de la pièce et ceci explique les costumes et les étudiants
    . Madame Isabelle Jouve n’allez pas au théâtre avec vos yeux d’écolière de classe de seconde. Tout évolue.

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