« la Griffe », de Howard Barker, Studio‑Théâtre d’Asnières

la Griffe © Jean-Louis Gallo

Suivez cette troupe !

Par Olivier Pansieri
Les Trois Coups

J’étais venu au Studio d’Asnières pour voir un peu à quoi ressemblait le travail des élèves comédiens formés par cette valeureuse maison. En fait de travail d’élèves, j’ai vu un spectacle poignant, drôle et fort comme un film d’Almodóvar : « la Griffe » de Howard Barker, mis en scène par Jean‑Philippe Albizzati et Benoît Seguin. Cette jeune équipe, bourrée de talent, est d’ailleurs résolue à tenter la grande aventure en tant que Collectif Art d’assaut. Elle fera bien. Si leur prochaine offensive vaut celle-ci, ils vont casser la baraque, où qu’elle soit. Et, où qu’elle soit, on ira.

Mais d’abord un mot sur la Griffe (1975), première pièce du cyclone Barker alors seulement ouragan. La pièce raconte l’ascension du fils illégitime (et bigleux) de Mrs Biledew : Noël dit « la Griffe ». Ce charmant bambin commence par prostituer sa petite camarade avant de partir à l’assaut du Tout-Londres à la tête de son bataillon de call girls. Le hasard lui fait alors commettre sa seule faute : tomber amoureux.

L’œuvre doit un peu (beaucoup) à Orange mécanique, roman d’Anthony Burgess écrit en 1962, devenu film mythique en 1971 grâce à Stanley Kubrick, auquel elle emprunte le cynisme du héros et sa jubilatoire inversion des valeurs. Mais elle annonce aussi des films comme Mona Lisa (1986) de Neil Jordan avec les inoubliables Cathy Tyson et Bob Hoskins (Roger Rabbit !). Ce qu’on a appelé le « néoréalisme anglais ». Bref, un peu de cinéma au théâtre ! Qui s’en plaindra ?

Scénographie sobre et efficace de Lorraine de Sagazan, Guillaume Tarbouriech et Xavier Lescat. Leur plateau tournant à roulettes, pourtant bête comme chou, est un coup de maître. Il permet de suivre l’action, menée tambour battant, qui fait alterner les scènes de misérabilisme parodique avec celles, plus terribles, des marchandages libidineux. Par exemple entre « Jojo », ministre abject et frelaté, et sa femme Angie nymphomane. En voilà, deux « spécimens représentatifs » de la classe dirigeante, selon Barker !

Lorraine de Sagazan et Jean‑Philippe Albizzati font de ce tandem infernal un petit bijou d’ignominie quotidienne. Ils jouent le dégoût de soi et de l’autre comme s’ils avaient fait ça toute leur vie. Deux bons. Leur différence de taille (elle est plus grande que lui) est, elle aussi, une trouvaille. À côté des ces deux affreux, Nora et Mrs Biledew, respectivement la copine sans scrupules et la mère indigne, font figure de saintes. Leurs interprètes Nina Meurisse et Rachel André s’en donnent à cœur joie dans le pragmatisme prolétaire. Fiona Chauvin, elle, construit impeccablement sa bonniche qui tourne mal et s’en aperçoit trop tard. Toutes les trois méritent des éloges.

C’est à Pierre‑Louis Gallo qu’incombe la lourde tâche d’incarner Noël, ce faux dur, piégeur piégé qui voulait « planter sa griffe rouge dans les tripes des nantis » et qui finira étouffé par eux dans la plus pure tradition des tragédies shakespeariennes. Il s’en tire mieux que bien, insufflant au personnage une rage presque romantique dont cette histoire a besoin. C’est parce qu’il veut se venger des humiliations, dont il croit enfin triompher, que le jeune souteneur, cette « Griffe pour rire », tombe entre les griffes, des vraies celles-là, de Jojo. La vraie justice étant bafouée, celle de classe peut commencer sa sinistre besogne.

Ce serait ici que la pièce pécherait : dans cette dernière partie, plus démonstrative, « brechtienne » et un peu longuette, où l’on ne rit plus du tout. C’est pourtant un moment très fort de théâtre. Jonathan Salmon et Guillaume Tarbouriech y excellent d’ailleurs dans leurs rôles d’« assassins ordinaires » de Sa Gracieuse Majesté. Alors quoi ? Alors, si j’ai fort bien compris que Barker entendait dénoncer, avec force, « l’obscénité » du système, je dirais que cette fois « je le sens l’écrire ». Alors qu’avant, non. Ce défaut de construction n’enlève rien, au contraire, à la qualité de jeu des neuf comédiens.

Le Collectif Art d’assaut s’est réparti judicieusement les tâches par un inhabituel système de « binômes ». À la mise en scène : Jean‑Philippe Albizzati et Benoît Seguin, aux décors : Lorraine de Sagazan, Guillaume Tarbouriech et Xavier Lescat, aux costumes : Rachel André, Fiona Chauvin assistés de Bruno Marchini. La plupart d’entre eux jouent aussi. Le résultat est bluffant. Il dit l’imagination, la tolérance et l’enthousiasme d’une troupe qui a travaillé plus d’un an sur son chef-d’œuvre, car c’en est un. Au moins au sens qu’on donnait à ces merveilles miniatures que réalisaient naguère les « compagnons du Tour de France » avant de passer maîtres… 

Olivier Pansieri


la Griffe, de Howard Barker

Collectif Art d’assaut

Mise en scène : Jean‑Philippe Alibizzati et Benoît Seguin

Avec : Jean‑Philippe Alibizzati, Rachel André, Fiona Chauvin, Pierre‑Louis Gallo, Nina Meurisse, Lorraine de Sagazan, Jonathan Salmon, Benoît Seguin, Guillaume Tarbouriech

Scénographie : Lorraine de Sagazan, Guillaume Tarbouriech, Xavier Lescat

Costumes : Rachel André, Fiona Chauvin, avec l’aide de Bruno Marchini

Illustration sonore : Nina Meurisse, Jonathan Salmon, Julien Salmon

Lumières : Charlotte Montoriol

Dramaturgie : Samuel Gallet

Photo : Jean‑Louis Gallo

Studio-Théâtre • 3, rue Edmond‑Fantin • 92600 Asnières

www.studio-asnieres.com

Métro : Gabriel‑Péri : ligne 13 Asnières-Gennevilliers, gare S.N.C.F. d’Asnières

Réservations : 01 47 90 95 33

Vendredi 9 janvier, samedi 10 janvier 2009 à 20 h 30, dimanche 11 janvier à 15 h 30

Durée : 2 h 15

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