« La Maison et le Zoo », d’Edward Albee, Théâtre du Rond‑Point à Paris

« la Maison et le Zoo » © Giovanni Cittadini Cesi

Sortir de sa cage

Par Alicia Dorey
Les Trois Coups

Avec « la Maison et le Zoo », pièce en deux actes écrits à près de quarante années d’écart, le Théâtre du Rond-Point nous propose une mise en scène de Gilbert Désveaux très décevante, sauvée de justesse par un Jerry plus vrai que nature.

Ann et Peter rêvaient d’une vie semblable à un bateau tranquille : un itinéraire balisé, sans grande surprise, et avec vue sur les marsouins. Heureux propriétaires d’un appartement situé entre Lexington et Third Avenue, de deux filles, deux chats, deux perruches et deux micro-ondes, c’est un couple qui s’entend bien, mais qui ne s’écoute pas. Ann, interprétée par Fabienne Périneau, tente désespérément d’attirer l’attention de son mari. Elle s’imagine hurler à l’angle de la rue avant le lever du jour, ou simplement s’asseoir sur le bitume en écartant les jambes, cherchant ce qui pourrait donner un sens à ses insomnies matinales. Au lieu de cela, assise dans sa cuisine, elle « envisage d’envisager » de se faire trancher les seins, coupant ainsi l’herbe sous le pied du cancer. Peter, joué par Jean‑Marc Bourg, est un éditeur rompu à la relecture assommante de manuels scolaires. Il essaie vainement d’expliquer à Ann comment sa circoncision semble disparaître au fil des années. Leurs échanges sont absurdes parce que faussement exaltés, dans un couple où la passion s’est éteinte, et où la monotonie du quotidien fait écho à l’érosion symbolique des organes génitaux.

Le texte d’Edward Albee est criant de vérité, et pourtant son interprétation sur la scène du Rond-Point est laborieuse, si travaillée qu’elle en perd sa substance. Ce qui devrait être infiniment drôle tombe à plat, et ce n’est qu’en lisant le texte a posteriori que l’on perçoit tout le génie de son auteur. Au terme d’un premier acte à peine sauvé par quelques répliques bien senties, nous sommes sur le point d’abandonner ce navire un peu trop tranquille.

Un zoo pour s’échapper

Ce n’est qu’au second acte, écrit en 1958 sous le titre de Zoo Story, que la pièce prend son envol. On quitte l’atmosphère suffocante de l’appartement pour suivre Peter à l’air libre, parti s’isoler sur un banc de Central Park. Il fait la rencontre de Jerry, un marginal superbement interprété par Xavier Gallais, qui va brusquement secouer ce quadragénaire en mal de sensations fortes. Haletant et dégoulinant de sueur, Jerry se déplace sur scène avec la grâce d’un félin et la souplesse d’un primate, grimpant aux arbres et rampant sur le sol sans aucune retenue. Il est à lui seul une horde d’animaux sauvages échappée du zoo, qui jure avec la petite ménagerie bien apprivoisée que l’on vient de quitter. Drôle, lunatique et inquiétant, Jerry va lentement faire ressortir la violence bestiale qui sommeille en Peter, ce que Ann n’était pas parvenue à obtenir durant le premier acte.

Au fil de ses échanges avec Jerry, on le voit passer de l’amusement à l’anxiété. Son corps, jusqu’alors rigide et inexpressif, semble ployer sous la pesanteur des mots : les larmes coulent, les épaules s’affaissent, le visage est parcouru de tics nerveux. Il sent l’étau se refermer sur lui, et sur nous aussi. L’atmosphère devient de plus en plus oppressante, alors que Jerry commence à envahir son espace vital, réduit à ce banc sur lequel Peter s’assoit chaque jour. Le public se réveille enfin face à cet homme prêt à bondir, qui va puiser dans ses instincts primaires pour défendre son territoire. Trop longtemps contenue, sa violence est décuplée. La lutte à mort qui va l’opposer à Jerry nous fait entrer, avec une avidité coupable, dans un univers où les plus faibles doivent périr.

Comme l’affirme Jerry, il est parfois indispensable de faire un grand détour pour arriver à destination. Et comment ! Ce n’est qu’au milieu du second acte, après une heure et demie de représentation fastidieuse, que l’on comprend enfin le drame en train de se jouer : enfermée dans le confort factice d’une maison ou derrière les grilles d’un jardin public, la vie se résume à l’expérience de la captivité, comme une cage dont on ne peut s’échapper sans faire exploser les barreaux. Un message puissant et universel, malheureusement affaibli par une interprétation bien trop inégale, qui nous laisse sur notre faim. 

Alicia Dorey


La Maison et le Zoo, d’Edward Albee

Traduction : Jean-Marie Besset

Mise en scène : Gilbert Désveaux

Avec : Jean-Marc Bourg (Peter), Xavier Gallais (Jerry) et Fabienne Périneau (Ann)

Scénographie : Annabel Vergne

Assistant scénographie : Cassandre Boy

Lumières : Maryse Gautier

Son : Serge Monségu

Costumes : Annabel Vergne

Assistante costumes : Marion Cornier

Assistante lumières : Marie Delphin

Photo : © Giovanni Cittadini Cesi

Théâtre du Rond-Point • 2 bis, avenue Franklin-D.-Roosevelt • 75008 Paris

Réservations : 01 44 95 98 21

Site du théâtre : www.theatredurondpoint.fr

Métro : ligne 9, arrêt Franklin-D.-Roosevelt

Du 3 au 28 juin 2015, du mardi au samedi à 20 h 30 et le dimanche à 15 heures

Durée : 2 h 15

31 € | 28 € | 18 € | 12 €

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories

contact@lestroiscoups.fr

 © LES TROIS COUPS

Précédent
Suivant