« la Ménagerie de verre », de Tennessee Williams, Théâtre national de Bretagne à Rennes

la Ménagerie de verre © Élisabeth Carecchio

Entre noirceur et lumière

Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups

Le Théâtre national de Bretagne accueille, dans sa grande salle Vilar, le premier succès public de Tennessee Williams (1911-1983). La mise en scène et la scénographie originales sont signées de Daniel Jeanneteau, le nouveau directeur du Théâtre de Gennevilliers.

Cette pièce qui fait largement appel à la mémoire familiale de l’auteur se joue dans la tête de Tom Wingfield entre rêve et souvenir. Pour traduire cette situation, Jeanneteau a choisi d’enfermer l’action représentée dans un vaste volume entouré de tulle avec un sol cotonneux. C’est du plus bel effet scénique.

Tom, le narrateur dont le récit encadre la pièce, est hanté par son histoire familiale et la culpabilité qu’il éprouve d’avoir abandonné sa mère Amanda, mais surtout sa sœur Laura. Sa mère, quittée par son mari, se complaît dans ses souvenirs (ses rêves ?) d’une jeunesse dorée et de ses nombreux admirateurs. Mère possessive, abusive, elle harcèle tout particulièrement sa fille, atteinte d’un léger handicap (une claudication) qui l’a rendue solitaire. La pression de sa mère, hantée par l’idée que sa fille pourrait rester célibataire, accentue la maladresse, la timidité et la fragilité de Laura. Tom, coincé entre ces deux femmes qu’il fait vivre, n’en peut plus ni de l’étouffement domestique ni de son travail abrutissant dans une usine de chaussures. Il se rêve poète. L’irruption de Jim O’Connor, un collègue invité par Tom sous l’emprise de sa mère qui voit en lui un soupirant pour sa fille, va précipiter le trio familial vers la catastrophe.

L’action se déroule à Saint‑Louis, Missouri, chez les Wingfield. Ils occupent un petit appartement dont Tom essaie de s’échapper le plus souvent qu’il peut, en prétendant aller au cinéma.

Une mère possessive et tyrannique

Sous la coupe de leur mère, admirable Dominique Reymond, Tom et Laura vivent un véritable enfer. Amanda, tyrannique, leur impose son égoïsme immature. Et quand elle se veut aimante, elle est seulement possessive, incapable de voir la réalité et de répondre aux besoins authentiques de ses enfants. Dominique Reymond donne à ce personnage la dimension d’un véritable monstre sacré, adoptant notamment une diction tantôt naturelle, tantôt parfaitement artificielle selon qu’elle est à peu près dans la réalité ou perdue dans ses rêves. Son grand morceau de bravoure se place au cours de la réception de Jim. Au mépris du ridicule, elle va et virevolte, jouant les mondaines et les coquettes, au bord de la scène de séduction.

Fragile, gauche, s’excusant presque d’exister, semblant flotter plus que marcher, Solène Arbel donne vie à une Laura touchante. Elle commence à s’ouvrir lors du tête-à‑tête avec Jim, et il s’en faut de peu qu’elle ne rayonne avant que tout ne se brise à l’image de la licorne, la plus belle pièce de sa « ménagerie de verre ».

Olivier Werner campe un Tom déchiré entre ses sentiments filiaux, fraternels et son irrépressible besoin d’exister pour lui-même. Quand il tranchera définitivement, croyant enfin se libérer, il ne fera que forger la chaîne du remords qui lui empoisonnera la vie.

Quentin Bouissou réussit à rendre sympathique un Jim qui n’est qu’un personnage falot que la mémoire de Laura a embelli. Pourtant, est‑il sincère ou joue-t‑il un jeu pitoyable ? Il arrive à arracher Laura à son enfermement, à lui redonner vie, jusqu’à ce qu’il ruine tout ce qu’il a construit, comme il brise la licorne que Laura, confiante, lui a remise entre les mains. Quelle métaphore !

Malgré les moments où l’on rit, la Ménagerie de verre est un drame. Daniel Jeanneteau nous suggère que c’est surtout une tragédie où chacun, porteur de son héritage social et psychique, se fait l’artisan de son destin. 

Jean-François Picaut


la Ménagerie de verre, de Tennessee Williams

Traduction : Isabelle Famchon

Mise en scène et scénographie : Daniel Jeanneteau

Avec : Solène Arbel, Quentin Bouissou, Dominique Reymond, Olivier Werner

Assistant mise en scène et scénographie : Olivier Brichet

Collaboratrice à la scénographie : Reiko Hikosaka

Lumières : Pauline Guyonnet

Costumes : Olga Karpinsky, assistée par Cindy Lombardi ; réalisation costumes : Studio FBG2211

Son : Isabelle Surel

Vidéo : Mammar Benranou

Régie générale : Jean‑Marc Hennaut

Régie lumière : Juliette Besançon / Pauline Guyonnet (en alternance)

Régie son : Isabelle Surel / Benoît Moritz (en alternance)

Photo : © Élizabeth Carecchio

Production : maison de la culture d’Amiens-Centre européen de création et de production, Studio‑Théâtre de Vitry

La Ménagerie de verre est présentée en vertu d’un accord exceptionnel avec The University of the South, Sewanee, Tennessee.

La « ménagerie » des objets en verre a été réalisée par Olivier Brichet et Solène Arbel. Avec la collaboration des élèves de première année de C.A.P. et bac pro de la section verrerie scientifique du lycée Dorian à Paris et son professeur Ludovic Petit. Remerciements à l’entreprise V.S.N (Verrerie soufflée et normalisée-Paris)

Théâtre national de Bretagne • salle Serreau • 1, rue Saint‑Hélier • 35000 Rennes

Réservations : 02 99 31 12 31

www.t-n-b.fr

Du mercredi 18 au samedi 21 janvier 2017 à 20 heures

Durée : 2 h 15

26,5 € | 17 € | 13 € | 11 €

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