Vers un destin tragique
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Ils ont une vingtaine d’années, l’âge des personnages de cette période gorgée de sang et d’idéaux et surtout celui de l’auteur, Georg Büchner, qui n’a pas 22 ans quand il écrit « la Mort de Danton », peu avant de disparaître à son tour, à 23 ans. La même énergie, la même urgence…
C’est une œuvre magnifique, complexe et foisonnante à laquelle ces jeunes gens, pour la plupart tout juste sortis de l’E.N.S.A.T.T., s’attaquent de front, avec la fougue et l’énergie de la jeunesse. Une œuvre écrite en quelques mois, par un jeune étudiant en médecine féru d’histoire, très engagé dans l’action politique et passionné par les questions des droits de l’homme et de la légitimité de la violence.
Printemps 1794. La guillotine fonctionne à plein régime. Le roi est mort, mais les armées étrangères menacent. Un conflit ouvert oppose les Intransigeants, menés par Saint-Just et Robespierre, jusqu’au-boutistes partisans d’une vertu tranchante et sans concession, aux Indulgents, regroupés autour de Danton et Camille Desmoulins, épouvantés par les allures meurtrières que prend la Révolution et qui, amoureux de la vie, demandent une pause dans l’horreur. Danton, qui fut un temps parmi les plus audacieux, va choisir son camp, « être guillotiné plutôt que guillotineur »…
La pièce est si riche qu’une telle présentation est bien évidemment incomplète et inexacte. Il y a l’Histoire ; il y a le débat d’idées avec des réalités qui ne sont pas, elles, abstraites, comme la famine, la misère et les risques de guerre ; il y a enfin et surtout les hommes. Dans le drame écrit par Büchner, l’un des principaux moteurs est la transformation de Danton en héros tragique. Büchner interroge : comment cet homme courageux et déterminé bascule-t-il vers la pitié et la réconciliation ? Comment et pourquoi choisit-il de marcher vers la mort ? Büchner ouvre des pistes, sans jamais nous leurrer d’une réponse exclusive et univoque.
De jeunes héros romantiques
On comprend bien pourquoi une telle pièce peut intéresser des jeunes gens. Tout les y questionne. Et pourquoi cette pièce réputée injouable (et à laquelle se sont essayés les plus grands) a tenté ces jeunes comédiens, metteur en scène et scénographe ? Elle recèle tant de possibles !
Ils font donc preuve d’audace et d’inventivité. Tout d’abord en matière de scénographie. Le plateau de L’Élysée, débarrassé de ses fauteuils, devient une sorte de hangar au milieu duquel campe une immense table autour de laquelle comédiens et spectateurs mêlés prennent place. Cette scénographie, qui n’est pas sans évoquer celle utilisée par la compagnie D’ores et déjà pour Notre terreur, est propice aux discussions enflammées et aussi à l’écoute. Placés à droite de Robespierre et face à Camille Desmoulins, nous sommes touchés par des envolées lyriques, des diatribes vigoureuses qui semblent s’adresser aussi à nous. Nous sommes plongés au cœur de l’action… ou plutôt des tribunes et des discours.
Mais la Mort de Danton est bien autre chose et bien davantage que cela. Et c’est l’une de ses difficultés. Dans cette interprétation, les comédiens ont beau se jeter sur les tables pour évoquer (avec conviction et fureur) les ébats amoureux de Danton avec son épouse ou avec une prostituée, cette disposition reste malgré tout statique et ne favorise pas la représentation de la multiplicité des lieux. Ni surtout des pensées et émotions qui traversent le personnage principal, qui, à la différence de son adversaire, n’est pas seulement un monstre froid de la politique, mais aussi un animal de chair et de désir qui éprouve des sentiments et sait s’émouvoir d’éléments de la nature à la manière d’un Rousseau. Certes, il aime jouir, mais pas seulement.
Raphaël Dufour : beaucoup de charisme, de talent et de conviction
Autre audace, celle de faire jouer Robespierre par une femme. Oui, face au lion Danton (qu’incarne avec beaucoup de charisme, de talent et de conviction Raphaël Dufour), Robespierre est souvent présenté comme un monsieur guindé, bien mis, maniaque à l’extrême, presque efféminé et soucieux de vertu. Il n’en reste pas moins une figure puissante, un parangon de vertu mortifère, un homme dangereux et redoutable, auquel la frêle Estelle Clément‑Belaem, fort bonne comédienne au demeurant, ne peut faire croire.
Enfin, si le texte est riche de possibles, il dissimule tout autant des chausse-trapes : à commencer par le piège de l’adaptation. Vouloir réduire cette pièce-fleuve à moins de deux heures est évidemment risqué. Car la richesse du propos, le nombre d’ouvertures, la densité des problématiques, la force des enjeux, la subtilité des caractères et des relations rendent risquée toute coupure. L’adaptation, en voulant réduire et actualiser, affadit le texte, le rend moins lisible et brouille les cartes.
Ne soyons pas trop sévères cependant. Ce spectacle a les défauts de ses qualités et ceux-ci sont péchés de jeunesse. L’énergie de ces jeunes comédiens (Mathieu Besnier en Desmoulins et Caroline Gonin, qui est à elle seule une figure du peuple, notamment) et leur engagement sont formidables. Ils font revivre le temps d’une représentation des points de vue et des questionnements plus que jamais nécessaires aujourd’hui. Ils nous offrent ici un moment fort de théâtre et nous donnent envie de relire Büchner, ce qui est tout à leur honneur. ¶
Trina Mounier
la Mort de Danton, d’après Georg Büchner
Mise en scène : Yann Lheureux
Avec : Mathieu Besnier, Estelle Clément‑Bealem, Marie‑Laure Communal, Raphaël Dufour, Caroline Gonin, Aymeric Lecerf, Charlotte Ramond
Lumières : Fabrice Guilbert
Musique et son : Baptiste Tanné
Scénographie et assistanat : Amandine Fonfrède
Photo : © D.R.
Production : Bureau éphémère Liberté, Égalité, Fraternité, Courage
Dans le cadre de l’opération Balises
L’Élysée • 14, rue Basse-Combalot • 69007 Lyon
Réservations : 04 78 58 88 25
Du 11 au 13 juin, puis du 16 au 18 juin 2014 à 19 h 30
Durée : 1 h 50