« la Nuit des assassins », de José Trijana, l’Alizé à Avignon

Minuit, l’heure du crime

Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups

À une heure improbable, à l’ombre des remparts avignonnais, se déroule chaque soir une inquiétante cérémonie. À minuit, la troupe italienne Il Piccolo Teatro d’arte joue avec « la Notte degli assassini » un rituel hallucinant et transforme, l’espace d’une nuit, la scène de l’Alizé en scène de crime…

De meurtre, il en est en effet question avec la Nuit des assassins, de Trijana : trois jeunes frères et sœurs – Lalo, Cuca et Beba – trucident leurs parents chaque soir, avec la même cruauté mécanique. Sur une petite musique baroque interprétée par un musicien automate, et une danseuse de boîte à musique, les trois enfants répètent un rituel effroyable en jouant tour à tour le rôle des assassins, des victimes, des magistrats ou des témoins.

Avec frénésie, ils mènent à terme ce psychodrame relatif à la difficulté de l’enfance à se séparer des parents, de l’impuissance à se libérer de l’histoire familiale. Autant de problèmes existentiels terriblement communs. L’effroi ne naît pas tant du meurtre symbolique des parents que de la démonstration de son échec : chaque soir, ces petits automates reproduisent le même rituel obsédant avec la même inefficacité.

L’allure grotesque de la pièce fait écho au théâtre de l’absurde : répétition lancinante des mêmes actions, échec de toute tentative « révolutionnaire », clôture dans l’aporie : l’histoire piétine, il n’y a pas d’issue.

La mise en scène privilégie un esthétisme baroque fait d’une accumulation d’objets poussiéreux baignés par une lueur blafarde, comme à la flamme d’une bougie. Perruques poudrées, fard blanc et vieilles dentelles habillent les deux automates – musicien et danseuse. L’alliance de la musique, de la danse, de la parole et du mouvement est une alchimie réussie.

Tout cela est en somme très beau. Le jeu des jeunes comédiens (la troupe est composée de professionnels de moins de 20 ans) est plein de verve. Le rythme en devient parfois même épuisant, d’autant plus épuisant que notre attention est en outre sollicitée pour suivre un surtitrage souvent incorrect ou inopportun, en retard ou incomplet.

La beauté de la langue italienne, sa musicalité, le soin porté à la scénographie, ainsi que la clarté du langage chorégraphique, permettent cependant de nous accompagner dans la compréhension. Toujours est‑il, et sans doute en raison de ces mêmes éléments, que l’on reste à distance de ce qui devrait nous faire travailler au plus profond de nous. La beauté plastique, celle de la langue ou des gestes, prend le pas sur le sens de la pièce. Elle devient objet d’art plus qu’objet de réflexion. Serait‑ce là une censure inconsciente qui opère et refoule le meurtre symbolique de nos parents ? À vous de voir… 

Cédric Enjalbert


la Nuit des assassins, de José Trijana

Il Piccolo Teatro d’arte • V. Bologna 3 • 10152 – Torino

+390112359062 | +393475877459

Adaptation et mise en scène : Claudio Ottavi Fabbrianesi

Assistante : Federica Valenti

Interprètes : Christian Burruano, Elena Ramognino, Rossana Peraccio, Martina Scandola, Federica Scandola

Lumières et sons : Stefano Turino

Costumes : Agostino Porchietto

Chorégraphie : Gabriela Ottavi Fabbrianesi

Théâtre de l’Alizé • 15, rue du 58e‑Régiment-d’Infanterie • Avignon

04 90 14 68 70

Du 15 au 25 juillet 2007 à minuit

Relâche le 23 juillet

Durée : 1 h 15

13 € | 9 € | 5 €

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