Un mois de mai électoral enfin désopilant !
Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups
Christophe Mory nous livre un texte coupé comme un costume de bonne facture, mis en valeur par deux comédiens à la stature présidentielle.
À la fin des Tontons Flingueurs, le tailleur, qui ajuste la jaquette de Lino Ventura pour le mariage de sa nièce, s’exclame avec flagornerie : « Monsieur a une carrure de diplomate ! ». C’est à cette phrase que l’on songe en regardant Pierre Santini et Éric Laugérias qui endossent les rôles de deux présidents de la République. Il fallait deux monstres de la scène pour donner de la crédibilité à ces personnages censés incarner la France. Mission brillamment accomplie : Santini est un vieux briscard conservateur et cynique à souhait ; Laugérias un jeune gommeux transpirant l’arrivisme.
L’intrigue est simple, on pourrait même dire « cousue de fil blanc », puisque la pièce se déroule dans le bureau de l’Élysée, une demi-heure avant l’investiture du nouvel élu. Le sortant et l’entrant sont en tête-à-tête après s’être écharpés tout au long de la campagne électorale. Ils doivent bon gré, mal gré, se prêter au jeu de la passation de pouvoir qui est le commencement de la fin (ou la fin du début, on ne sait pas trop !). D’ailleurs, ils se connaissent beaucoup mieux que ne le pensent leurs électeurs respectifs et se vouvoient sans conviction après avoir trinqué jadis aux mêmes bouteilles et regardé les mêmes filles.
Franchement drôle
Elles sont nombreuses les pièces qui prétendent restituer les grandes heures de l’Histoire en nous infligeant un fastidieux dialogue entre deux ou trois personnages, célèbres pour avoir présidé aux destinées de la nation. On pouvait craindre la satire politique, statique et convenue. Toutefois, le parti pris astucieux de la fiction permet une critique distanciée, mais féroce de notre beau pays qu’est la France. Car il reste l’humour quand on a tout raté, même les présidentielles.
Si les deux présidents sont imaginaires, la contrée décrite, elle, est bien réelle, et portraiturée dans toute la vérité de ses défauts. Qui aime bien châtie bien. Ce n’est pas du French bashing (les journalistes n’ont rien trouvé de mieux que cet anglicisme pour dénoncer le pessimisme antinational). C’est juste une caricature franchement drôle, exécutée avec pas mal de tendresse quand même.
La seconde bonne idée est d’avoir confié la mise en scène à Alain Sachs. Celui-ci a fouillé dans sa boîte à couture pour sublimer le petit complet du huis clos en duo, en le transformant en habit de fête. Cela bouge, cela remue et cela fonctionne. C’est fou tout ce qui peut s’agiter dans un bureau officiel, sous les lambris de la République ! Après toutes les vestes électorales qui ont été enfilées ce printemps, voici donc un spectacle qui taille un costard aux idées noires et nous force à rire de tout, même de nos désillusions civiques. ¶
Élisabeth Hennebert
la Passation, de Christophe Mory
Texte de la pièce publié aux éditions la Librairie Théâtrale, en 2017
Mise en scène : Alain Sachs assisté de Corinne Jahier
Avec : Pierre Santini et Éric Laugérias
Voix : Marie-Charlotte Leclaire, Alice Serrano et Jean-Michel Aphatie
Costumes : Ana-Belen Palacios
Décors : Lydwine Labergerie
Création sonore : Patrice Peyrieras
Lumières : Jacques Rouveyrollis
Photo : © Laurencine Lot
Théâtre les Feux de la Rampe • 34, rue Richer • 75009 Paris
Réservations : 01 42 46 26 19
Site : http://www.theatre-lesfeuxdelarampe.com
Jusqu’au 31 mai 2017, du jeudi au samedi à 19 h 15, le dimanche à 16 heures
Durée : 1 h 20
33 €, 28 € et 24 €