Rancillac ressuscite Corneille
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
François Rancillac sort du cartable une place méconnue et réputée injouable de Corneille et en donne une version époustouflante de modernité, d’humour et de jeunesse.
C’est peu dire que la plupart de nos souvenirs de Corneille sont liés au collège, à cette fameuse lutte de l’amour et du devoir un rien moralisante dont nous semblons si éloignés aujourd’hui. Et ce n’est pas Georges Brassens qui nous contredira quand il interpellait son « vieux Corneille » de la place d’une jeune marquise pressée de vivre !
Disons-le tout net, la mise en scène de François Rancillac nous fait véritablement découvrir un texte et en suivre l’intrigue avec passion ! Elle est pourtant fort emmêlée, cette histoire, et c’est sans doute ce qui en rend l’exploitation délicate.
Alidor et Angélique s’aiment. Follement. Personne n’arrive à la cheville d’Alidor aux yeux d’Angélique, qui est parée de toutes les vertus et de tous les charmes dans le cœur d’Alidor. Mais Alidor est terrifié à l’idée d’abdiquer fût-ce une parcelle de sa liberté, véritable et unique rivale d’Angélique. Autour d’eux, l’ami fidèle, Cléante (incarné par Assane Timbo, très convaincant), et une galerie de personnages comiques. Des ridicules auxquels le metteur en scène prête des rôles qu’on ne s’attend pas à trouver chez Corneille : le petit marquis empêtré dans ses révérences et ses rubans (Antoine Sastre) ; la confidente Phyllis, pour laquelle Linda Chaïb, habillée de rose bonbon, compose un personnage d’écervelée rigolote ayant trop lu sa carte du Tendre ; et le frère de cette dernière, Doraste, que Nicolas Senty traite en benêt amoureux transi d’Angélique. Tous ces types semblent tout droit sortis de chez Molière, et c’est tout à fait amusant de revisiter ainsi les habitants du xviie siècle.
Tous vont vouloir influencer le cours des choses et le feront avec tant de fougue et d’improvisation que l’échec de leur entreprise est quasi assuré. En effet, pour continuer dans l’embrouillamini, Cléante aime en secret Angélique et va se mettre à y croire lorsque son ami lui « laissera la place » ; Phyllis veut, elle, caser son frère auprès de son amie, car, telle la marquise de tout à l’heure, elle trouve fort dommage de se laisser piéger par la fidélité ; lequel frère commet bévue sur bévue. Et, pour couronner le tout, Alidor ignore la force du sentiment qu’il porte à Angélique et, à l’instar de Perdican, découvrira trop tard qu’on ne badine pas avec l’amour… Un zeste de Musset et beaucoup de la cruauté et de la subtilité marivaldiennes nous font voyager sur des territoires littéraires plus proches de nous, plus ambigus aussi, ceux des désordres, des délices et des tourments amoureux, sans parler des méandres des mensonges malveillants qui n’en sont qu’à moitié et des vérités travesties.
Un spectacle bourré de références
Et pourtant, c’est bien Corneille qu’on redécouvre. Et d’abord ses alexandrins, que les comédiens ont manifestement travaillé au point de restituer sa limpidité originelle à cette langue somptueuse. Leur diction est parfaite, leur voix distinctement audible (et compréhensible), les perles dont la pièce est truffée dévoilées au grand jour. C’est sans doute le plus grand atout d’un spectacle qui n’en manque pas. Mais l’on s’aperçoit également, ébahi, que Corneille peut être drôle, insolent et libre.
Un mot du décor aussi, signé Raymond Sarti, fort beau avec sa place carrée de parquet ciré très xviie, qui se couvre de cendres faites du même matériau que la terre des jardins qui le tapisse au départ. Flanqué de deux rangées de miroirs surmontant ces tables de maquillage dédiées aux starlettes, il annonce à la fois la lutte dans l’espace de l’arène et les jeux dangereux de personnages qui s’inventent au fur et à mesure.
Enfin, si Christophe Laparra a fort à faire pour rendre les errements, tergiversations et inconséquences amoureux d’Alidor, ce séducteur si égoïste qu’il va tout mettre en péril sans jamais en avoir conscience, Hélène Viviès démontre ici avec éclat qu’elle est une excellente comédienne. Sa sensibilité à fleur de peau, sa douleur devant des manigances qu’elle est à mille lieux d’imaginer, son innocence, sa fraîcheur ne sont pas pour rien dans la réussite de cette Place royale.
Passionnant, Corneille ? Oh, que oui ! ¶
Trina Mounier
la Place royale, de Pierre Corneille
Mise en scène : François Rancillac
Avec : Linda Chaïb, Christophe Laparra, Antoine Sastre, Nicolas Senty, Assane Timbo, Hélène Viviès
Dramaturgie : Frédéric Révérend
Assistants stagiaires à la mise en scène : Joséphine Comito, Édouard Elvis Bvouma
Scénographie : Raymond Sarti
Costumes : Sabine Siegwalt
Réalisation des costumes : Christine Brottes, assistée de Marion Bruna et Frédérique Gauteron
Lumières : Marie-Christine Soma, assistée de Diane Guérin
Son : Frédéric Schmitt
Régie générale : Marie-Agnès d’Anselme
Régie lumière : Pauline Guyonnet
Maquillage et coiffure : Marion Sorin
Habillage : Anna Rizza
Photo de la Place royale : © Christophe Raynaud de Lage
Construction des décors par les ateliers du Moulin du roc à Niort
Emprunts aux œuvres contemporaines pour clavecin de Zbigniew Borgielski, Hanna Kulenty, Wojciech Widlack, Iannis Xenakis et aux pièces baroques de Louis Couperin et Nicolas Lebègue
Production : Théâtre de l’Aquarium (compagnie subventionnée par le ministère de la Culture, D.G.C.A.), Théâtre-C.D.N. de Dijon-Bourgogne, Le Moulin du roc-S.N. à Niort, Comédie de Caen-C.D.N. de Normandie, Fontenay-en-Scènes, Théâtre de Fontanay-sous-Bois
Avec l’aide d’A.R.C.A.D.I.‑Île-de-France et de l’A.D.A.M.I.
Théâtre de la Croix-Rousse • place Johannès-Ambre • 69004 Lyon
Réservations : 04 72 07 49 49
Site : http://www.croix-rousse.com
Du 17 au 27 mars à 20 heures, relâche les dimanche et lundi
Tarifs : 15 € | 11 € | 8 €
Durée : 2 heures
Tournée :
- Théâtre de Dijon-Bourgogne, 31 mars 2015 au 4 avril
- A.B.C. – Bar-le-Duc, 9 et 10 avril 2015
- Centre des Bords-de-Marne-Le Pereux, 14 avril 2015
- Le Cratère – Alès, 28 et 29 avril 2015
- Théâtre Firmin-Gémier / La Piscine – Chatenay-Malabry, 5 et 6 mai 2015
- Théâtre de la Madeleine – Troyes, 12 mai 2015
- N.E.S.T. – C.D.N. de Thionville, 19 au 21 mai 2015
- Théâtre de Cavaillon, 27 mai 2015 (sous réserve)