« la Reine de beauté de Leenane », de Martin McDonagh, le Lucernaire à Paris

la Reine de beauté de Leenane © David Krüger

Noir c’est noir

Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups

Reprise d’un spectacle joué cet été dans le Off d’Avignon, « la Reine de beauté de Leenane » reprend les codes de la comédie noire avec habileté. Sophie Parel tire de cette pièce britannique son parti, dans une mise en scène représentée au Lucernaire jusqu’au 16 octobre.

« Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui » écrit Baudelaire dans le Voyage. C’est à peu près ce que dépeint, avec la légèreté et l’humour en sus, le dramaturge britannique d’origine irlandaise Martin McDonagh dans la Reine de beauté de Leenane. Avec son titre à rallonge qui n’évoque pas grand-chose sinon l’Irlande, la pièce, qui date de 1996 et primée en Angleterre, brosse un tableau du quotidien d’une femme qui n’est plus tout à fait jeune et de sa mère, que la solitude a rendue odieuse. Un duo mère-fille dans un coin paumé aussi pauvre en visiteurs qu’en sentiments, tout tendu dans l’attente d’un rebondissement : la trame est simple, mais Sylvie Parel en tire son parti, aidé par une distribution prestigieuse.

Catherine Salviat, pensionnaire de la Comédie-Française, interprète Maggie, la méchante mère, impotente par manque d’affection et acariâtre par désœuvrement. Dopée aux mélodrames de la télévision, qu’elle ne quitte que pour s’enfiler un potage, Maggie tyrannise sa fille, Maureen (Sophie Parel). Et celle‑ci le lui rend bien, jamais avare d’une insulte ou d’une malveillance. Dans l’horreur domestique cerclée d’un désert rural – un huis clos sans horizon (souvenez-vous Michel Sardou : « C’est pour les vivants un peu d’enfer, le Connemara ») –, Maggie et Maureen maintiennent malgré tout un lien mère-fille.

Pat Dooley débarque alors à Leenane, de retour du continent anglais. Un homme ! Il bouleverse cet équilibre pervers. Grégori Baquet, lauréat du molière de la Révélation masculine en 2014, en fait un amoureux rustique un peu hagard. Comprend‑il la situation ? À vrai dire, il n’a pas l’air moins perdu que les deux autres. Avant de quitter l’Irlande, Pat Dooley offre cependant à Maureen la chance de sa vie, l’unique perspective qui devrait rendre son avenir radieux. Mais…

« la Reine de beauté de Leenane » © David Krüger
« la Reine de beauté de Leenane » © David Krüger

Mais c’est sans compter la diablerie espiègle de l’écrivain qui noircit la noirceur, sans trop s’inquiéter de paraître y prendre plaisir ! Ceux qui ont vu Bons baisers de Bruges, dont le Martin McDonagh est aussi l’auteur et le réalisateur, comprendront le ton à la fois bonhomme et noir du dramaturge. Ceux qui ne l’ont pas vu le peuvent néanmoins, car la Reine de beauté de Leenane est tout autant bien ficelée.

Alors, certes, la traduction grossit les grossièretés et l’interprétation souligne les accents populaires, mais les comédiens sonnent juste ; l’intrigue paraît mécanique, mais elle réserve des surprises ; le décor ne présente aucun effet, mais il suffit à évoquer les plaines venteuses et pluvieuses de ce versant du Connemara. L’ensemble file rapidement, mené si rondement qu’il reste difficile d’émettre en sortant un enseignement à tirer de ce « thriller psychologique » plutôt riant.

Disons d’abord que la solitude n’est pas pour ce dramaturge un état passager mais plutôt une malédiction. Qu’ensuite, les rendez-vous manqués, les quiproquos, les vacillements ne sont pas seulement des trucs de théâtre ou de cinéma, mais l’un des ressorts de la condition humaine. Enfin, que l’amour quelle que soit sa forme demeure un oiseau de malheur. Désespérant ? Pas franchement, non plus. Car le revers lumineux de cette histoire sombre éclate comme une évidence : il ne faut pas tarder de vivre ! 

Cédric Enjalbert


la Reine de beauté de Leenane, de Martin McDonagh

Traduction : Gildas Bourdet

Mise en scène : Sophie Parel

Avec : Catherine Salviat, Grégori Baquet, Sophie Parel, Arnaud Dupont

Lumières : Antonio de Carvalho

Musique : Virgile Desfosses

Décor et costumes : Philippe Varache

Photos : © David Krüger

Le Lucernaire • 53, rue Notre‑Dame‑des‑Champs • 75006 Paris

Réservations : 01 42 22 66 87

www.lucernaire.fr

Du 31 août au 16 octobre 2016, du mardi au samedi à 19 heures, dimanche à 15 heures

Rencontre avec l’équipe artistique le vendredi 14 octobre à l’issue de la représentation

Durée : 1 h 15

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