« la Très Excellente et Lamentable Tragédie de Roméo et Juliette » d’après Shakespeare, Théâtre national populaire à Villeurbanne

« la Très Excellente et Lamentable Tragédie de Roméo et Juliette » © Michel Cavalca

Malin bric‑à‑brac

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Il était une fois une ville nommée Vérone, métropole dominée par les puissances de l’argent et dirigée par une autorité politique implacable, mais incapable de faire régner la paix civile. Placée sous la coupe de la riche famille des Montague, elle ne supporte plus la présence du théâtre ambulant des Capulet installé auprès de ses gratte-ciel arrogants. Le coup de foudre réciproque de Juliette Capulet et de Roméo Montague, en dépit d’avertissements funestes, attise les rivalités entre les deux familles et s’achève par le suicide des jeunes amants. Ce court résumé de la pièce de Shakespeare la plus jouée avec Hamlet suffit pour présenter la version qu’en donne la jeune compagnie La Bande à Mandrin tant l’histoire de cette tragi-comédie est universellement connue.

Ce qui importe ici, après les nombreuses adaptations théâtrales, cinématographiques, chorégraphiques et musicales, c’est le choix de transposer l’intrigue dans le monde du cirque. Bienvenue donc au Capulet’s circus. C’est sur sa piste et dans ses coulisses à vue que se joue la destinée de Juliette et Roméo. Quelques acrobaties, un haka entre fratries ennemies, un peu de jonglage, de rapides pas de danse accompagnent des costumes rétro et des maquillages clownesques et, vite fait, bien fait, les situations du drame s’enchaînent.

Cet habillage de l’œuvre tient le coup, le temps de la surprise, mais finit par s’évanouir quand la tragédie chasse progressivement la comédie. Meurtres, trahisons, délires despotiques, empoisonnements et suicides s’accordent difficilement avec la volonté de la metteuse en scène de construire un divertissement forain et coloré. Preuve en est que dans le dernier tiers du spectacle où la parole shakespearienne reprend ses droits monstrueux et funèbres, la transposition se délite. Un retour brutal et indispensable à la simplicité et à la force du jeu théâtral débarrasse la pièce de ses oripeaux circassiens. Pas sûr que la conception dramaturgique initiale ait enrichi le propos. L’option Capulet’s circus apparaît comme l’emballage clinquant d’une création qui cherche plus à séduire qu’à renouveler et approfondir.

Le déséquilibre de la représentation pose une autre question. Juliette Rizoud assume la mise en scène, la traduction, l’adaptation et le rôle de… Juliette. N’est‑ce pas trop pour conserver un peu de lucidité sur ses objectifs originels ? La jeune femme ne manque pas d’idées, mais la lecture du long dossier de presse escortant son projet laisse perplexe. Fougueux, foisonnant et généreux, il ressemble à un bric-à‑brac ambitieux. Prétendre, entre autres, dénoncer sans le juger le pouvoir délétère de l’économie et du capitalisme, se faire l’écho d’une jeunesse radicalisée en quête de révolution, défendre la logique d’un théâtre engagé qui n’affirme pas le sens du monde…, tout cela se distingue mal sur le plateau.

Mais Juliette Rizoud est cultivée et maligne. La Très Excellente et Lamentable Tragédie de Roméo et Juliette qu’elle dirige s’apparente à un cocktail opportuniste qui attire les foules, notamment de lycéens, et semble les ravir. Là‑dessus, rien à dire. Ils sont mieux au théâtre qu’à se battre à coups de couteau dans la rue comme Tybalt et Roméo. Ils sont mieux à retenir leur souffle, lorsque Juliette et Roméo se défient amoureusement en se déshabillant à distance avant de faire l’amour pour la première fois. Ils ont raison de suivre avec passion les subtiles manœuvres de Frère Laurent, complice des deux amants. Encore une fois, pas de cirque à ces moments. Juste l’explosion de la violence. Juste l’intensité de la tension érotique. Juste l’humanité incarnée par un comédien sensible.

La Bande à Mandrin de Juliette Rizoud possède quelques acteurs magnifiques qui manifestent tout leur talent quand la baraque foraine s’est évanouie en coulisses : Clément Carabédian en Roméo fou de rage et d’amour, Jérôme Quintard en Frère Laurent sagace et tendre, Damien Gouy en Père Capulet tyrannique ou apaisé. Merci à eux. 

Michel Dieuaide


la Très Excellente et Lamentable Tragédie de Roméo et Juliette, d’après William Shakespeare

Adaptation et mise en scène : Juliette Rizoud

Avec : Clément Carabédian (Roméo Montague), Juliette Rizoud (Juliette Capulet), Yves Bressiant (Père Montague / la Nourrice), Damien Gouy (Père Capulet / Benvolio), Jérôme Quintard (Frère Laurent / Samson), Anaël Rimsky‑Korsakoff (Mercutio / Grégory / Balthazar / Hugues Rebec), Julien Gauthier (Tybalt / Pâris / Peter / l’Apothicaire), Laurence Besson (Lady Capulet / Abrahama), Raphaëlle Diou (Lady Montague / le Chœur / le Clown / Jane Boiteaviolon), Amandine Blanquart (la Justice / le Chœur / Potasoupe / Simone Boyaudechat)

Stagiaire assistante à la mise en scène : Sidonie Fauquenoi

Direction d’acteurs : Laurence Besson

Conseils littéraires : Pauline Noblecourt

Lumières : Mathilde Foltier‑Gueydan

Costumes et chapeaux : Adeline Isabel‑Mignot

Stagiaire aux costumes : Julie Mathys

Maquillage et coiffures : Gauthier Magnette

Scénographie et accessoires : Fanny Gamet

Stagiaire scénographie et accessoires : Lena Pelosse

Musique originale : Raphaëlle Diou

Chorégraphie : Aurélien Kairo

Administration de production : Raphaëlle Rimsky‑Korsakoff

Construction du décor : Atelier La Fonderie, Guillaume Ponroy, Quentin Lugnier

Production : La Bande à Mandrin

Coproduction : La Machinerie Théâtre de Vénissieux, Théâtre Théo‑Argence Saint‑Priest

T.N.P. • 8, place Lazare‑Goujon • 69627 Villeurbanne cedex

www.tnp-villeurbanne.com

Tél. 04 78 03 30 30

Courriel : billetterie@tnp-villeurbanne.com

Représentations : du 12 au 22 janvier 2017, les 12, 13, 14, 17, 18, 19, 20 et 21 à 20 h 30, les 15 et 22 à 16 heures

Tarifs : 25 €, 19 €, 14 €

Durée : 2 h 30

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