« la Version Browning », de Terence Rattigan, Théâtre de Poche‐Montparnasse à Paris

« la Version Browning » © Pascal Gely

« Le talent de se faire aimer »

Par Anne Cassou-Noguès
Les Trois Coups

Le professeur Crocker-Harris, dit Croquignole, semble être un de ses enseignants détestés que l’on a malheureusement tous connus, inutilement sévère et intransigeant, parfois même cruel. « La Version Browning » nous le présente chez lui, à la veille des vacances scolaires et de son renvoi.

La pièce se joue tous les soirs dans la « grande » salle du Théâtre de Poche. Les plus avisés noteront le paradoxe de la formulation. En effet, la scène est minuscule. Ainsi, il convient d’oublier les artifices qui encombrent souvent aujourd’hui les plateaux de théâtre. Pas de projection dans ce spectacle, point de changements de décors spectaculaires, et aucun micro. Que reste‑t‑il ? Une scénographie d’une grande sobriété. D’un côté, un bureau et deux chaises explicitent l’importance de la tâche que s’est fixée le professeur qui ne renonce jamais devant une punition ou un cours supplémentaire. De l’autre, on découvre deux fauteuils de velours rouge, lieu d’une plus grande intimité, dans lesquels le professeur ne s’assoit qu’une seule fois, pour faire une confidence à son jeune successeur. C’est sa femme, Millie, qui habite cet espace et cherche à y séduire ceux qu’elle veut placer sous sa coupe. Au fond, un paravent permet aux personnages d’entrer sur scène. Les uns pénètrent sans bruit et surprennent des aveux qui ne leur sont pas destinés. Les autres, au contraire, sonnent et s’introduisent avec fracas. Rien de plus simple que ce dispositif, qui n’a rien d’original. Il est pourtant d’une grande efficacité. En effet, il met les acteurs à nu, sans aucune protection, devant un public à l’affût du moindre geste, de la plus petite expression qui viendrait trahir une émotion.

« la Version Browning » © Pascal Gely
« la Version Browning » © Pascal Gely

On comprend que cette mise en scène est sans pitié avec les acteurs. Tout repose sur eux et sur la rigueur de leur jeu. Mais ils relèvent le défi avec brio. Marie Bunel incarne une femme aigrie, pleine de ressentiment, en mal d’amour et de reconnaissance sociale. En quelques minutes, la victime d’un mari indifférent et froid se transforme en un monstre d’égoïsme. Nikola Krminac, qui joue Peter Gilbert, le jeune professeur qui va prendre la place de Croquignole, a des faux airs de James Steward. Il parvient, en quelques brèves répliques, à esquisser son personnage et à blesser le vieux maître, involontairement mais non moins violemment. Quant à Andrew Crocker-Harris, interprété par Jean‑Pierre Bouvier, il réussit très vite à se débarrasser de ses oripeaux de pédagogue mesquin pour dévoiler un homme complexe et attachant.

On croit assister à la mise à mort d’un professeur trop conventionnel, empêtré dans des règlements d’un autre âge. On découvre dans la Version Browning un enseignant pénétrant et perspicace, particulièrement émouvant. 

Anne Cassou-Noguès

Lire aussi « la Version Browning », de Terence Rattigan, la Criée à Marseille.


la Version Browning, de Terence Rattigan

Mise en scène et adaptation : Patrice Kerbrat

Avec : Jean‑Pierre Bouvier (Andrew Crocker‑Harris), Marie Bunel (Millie Crocker‑Harris), Benjamin Boyer (Franck Hunter), Pauline Devinat (Mme Gilbert), Philippe Etesse (Dr Frobisher), Nikola Krminac (Peter Gilbert), Thomas Sagols (John Taplow)

Décor : Édouard Laug

Lumière : Laurent Béal

Costumes : Caroline Martel

Assistante à la mise en scène : Pauline Devinat

Théâtre de Poche-Montparnasse • 75, boulevard du Montparnasse • 75006 Paris

Réservations : 01 45 44 50 21

Site du théâtre : www.theatredepoche-montparnasse.com

Du mardi au samedi à 21 heures, dimanche à 15 heures

Durée : 1 h 25

Tarifs : de 10 € à 38 €

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