« l’Amant », de Harold Pinter, Théâtre Marigny à Paris

« l’Amant » :
une pièce maîtresse au Théâtre Marigny

Par Sheila Louinet
Les Trois Coups

Harold Pinter, c’est l’auteur qui bouscule les conventions et fouille les êtres jusqu’à révéler leurs failles. « L’Amant », pièce difficile et souvent incomprise, joue sur une écriture du double et de l’ambigu où rien n’est dit, mais tout est exposé. Didier Long redonne à cette pièce les lauriers qu’elle mérite. D’une incroyable finesse. C’est à voir absolument et c’est au Théâtre Marigny à Paris.

« l’Amant »

Univers rassurant d’un foyer bourgeois, couple a priori banal, Sarah et Richard sont mariés depuis dix ans. Mais dans ce quotidien des plus ordinaires, il semble aller de soi que la femme reçoive son amant quelques après-midi par semaine. L’auteur pousse le bouchon de cette entente tacite jusqu’à faire demander au mari à quelle heure il peut rentrer du travail… Ce serait bête, en effet, de trouver sa femme dans les bras de son amant ! Car, après tout, pourquoi ne pas jouer la carte de l’honnêteté et révéler au grand jour ce qui est si souvent caché au sein d’un couple : les hommes prennent des « putes », car ils n’assument pas que leur épouse puisse de temps en temps endosser ce rôle dans l’intimité du ménage ; les femmes, des amants, parce qu’elles rêvent toujours de ce qu’elles n’ont pas. Constat déjà audacieux, mais encore trop édulcoré pour le bien nommé univers « pinterien ». Univers où l’auteur met le doigt sur les failles de ses personnages, et s’y enfonce pas à pas. Ce couple adultérin flirte sur des frontières périlleuses, car est-il possible, chez cet auteur, de réaliser tous ses fantasmes sans basculer dans la folie ?

Beaucoup se sont cassé le nez avec cette pièce. Et la seule mise en scène qui soit vraiment restée dans les annales (et que nous aurions adoré voir !) fut celle de Claude Régy, créée en 1965, au Théâtre Hébertot. Jean Rochefort y jouait le rôle du mari. C’est dire que le pari de se montrer à la hauteur de cette œuvre n’était pas gagné, et il fallait une sacrée dose de talent pour monter une telle pièce. Et, disons-le très clairement, Didier Long a réussi ce tour de force. Il a su nous prendre par les tripes et nous emmener dans un monde très pinterien… Univers où les fantasmes prennent progressivement le contrôle des personnages et se télescopent avec la réalité.

Didier Long a compris, il joue sur le détail

Les choix scénographiques sont simples mais terriblement efficaces : sur le devant de la scène, un fauteuil club et une petite table ronde. Des panneaux en bois de chaque côté accentuent l’aspect chaleureux de cet intérieur cossu où tout semble bien à sa place. Mais Didier Long a compris, il joue sur le détail : par terre, quelques mégots écrasés dans un cendrier font désordre. Au milieu, trois stores en bois sont baissés, ils prennent toute la largeur de la scène, la départagent aussi… Peut-on déjà y deviner l’annonce d’une future fracture ?

Quant à l’entrée des personnages, on ne voit d’abord que la demi-jambe d’une femme. Le reste du corps est caché par les stores. Elle se réveille, enfile des chaussons élégants, puis aligne, avec son pied, d’un geste net et précis, les pantoufles de son mari. Petit détail qui donne déjà le ton à cet intérieur : tout doit rester parfaitement à sa place, il ne faut surtout rien déranger. Mais c’est aussi une vision quasi cinématographique, qui nous fait plonger de plain-pied dans cet univers et ne nous lâche plus jusqu’à la fin…

Trois rôles et deux personnages portent d’un bout à l’autre la pièce : Léa Drucker et Pierre Cassignard ont su restituer toute cette tension, si particulière chez Pinter, et pourtant si subtile. Dans leur bouche, les paroles ont l’air banales, mais elles distillent des gouttes d’étrangeté. Le dérapage n’est jamais loin et le malaise est en permanence palpable. Comment les comédiens sont-ils arrivés à un tel résultat ? Entre autres, par les silences loquaces des personnages… Rien n’est dit et pourtant tout est suggéré. Mais il n’y a pas que la maîtrise d’un texte, dont ils sont totalement imprégnés. Il y a aussi la puissance d’un jeu qui ose se déshabiller : Léa Druker va jusqu’au bout de son rôle, en montre les cavités et nous fait ressentir les puanteurs qui s’en dégagent. Pierre Cassignard, lui, épouse avec justesse les contours d’un personnage complexe pris dans l’étau de ses pulsions et qui tente désespérément de s’en libérer. Ils sont tout simplement époustouflants.

La pièce est courte. Elle dure une heure vingt tout au plus. On retient son souffle et on l’avale d’une traite. Les applaudissements tardent un peu à venir… oui, les spectateurs ont été mis en déroute. Quel brio, c’est du grand art ! 

Sheila Louinet


l’Amant, de Harold Pinter

Adaptation de Gérard Watkins

Mise en scène : Didier Long

Avec : Léa Drucker, Pierre Cassignard et Jeoffrey Bourdenet

Collaboration artistique : Anne Rotenberg

Costumes : Jean-Daniel Vuillermoz

Décors : Jean-Michel Adam

Création lumière : Laurent Béal

Musique : François Peyrony

Théâtre Marigny, salle Popesco • carré Marigny • 75008 Paris

Réservations : 01 53 96 70 30

Du 10 septembre 2010 au 2 janvier 2011, jours et horaires très variables, consultez le site du théâtre : http://www.theatremarigny.fr/fr/programmation/bdd/id/42-l-amant

Durée : 1 h 20

45 € | 35 € | 25 €

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