« le Cas Sneijder », de Jean-Paul Dubois, mis en scène par Didier Bezace, Les Célestins à Lyon

Insoumis ? Toujours !

Par Michel Dieuaide

Les Trois Coups

Du roman de Jean-Paul Dubois, Didier Bezace tire une adaptation théâtrale drôle et désespérée dans laquelle Pierre Arditi s’efface brillamment derrière son personnage.

Au théâtre Les Célestins (Lyon), une belle illustration de François Roca, imprimée sur le programme distribué en salle, accueille les spectateurs, une juste et poétique image pour introduire le Cas Sneijder. Un homme de profil, les bras ballants, regarde par la fenêtre. Dehors, rien. Juste une clarté ouatée, pas loin d’indiquer le vide de l’existence regardée de haut.

Paul Sneijder, le personnage principal de la pièce, ressemble à cet observateur désabusé. Mais, pas de chemise blanche comme sur une page en attente d’être écrite. Paul est vêtu de noir. Il est le seul rescapé d’une chute d’ascenseur qui a coûté la vie à sa fille. Depuis la tragédie, il s’acharne à essayer de comprendre l’origine de son deuil. Il nourrit une passion obsessionnelle pour les manuels techniques de fonctionnement des ascenseurs.

Face à lui, ou plutôt contre lui, ses deux fils et sa femme tentent vainement, au nom du conformisme bourgeois, de le ramener à la vie sociale. Sommé par sa famille de reprendre une activité professionnelle, Paul choisit la provocation en devenant promeneur de chiens. Cette nouvelle occupation lui permet de conjurer une partie de ses angoisses et de dériver avec une certaine ironie vers un désabusement total et volontaire.

“Le cas Sneijder” © Nathalie Hervieux
“Le cas Sneijder” © Nathalie Hervieux

Héros fatigués

Cette histoire, à la fantaisie apparemment déroutante, pose des questions incisives sur nos sociétés entichées de verticalité, au nom d’un idéal de productivité. Didier Bezace, filant comme Jean-Paul Dubois la métonymie de l’ascenseur, met en scène un spectacle insoumis. Soutenu dans son projet par la scénographie sobre et efficace de Jean Haas, il montre la fragilité d’un homme profondément blessé, qui met toute son énergie à sauver ce qui lui reste d’amour et d’intelligence. Le décor d’une fluidité extraordinaire lui permet, en coulissant horizontalement, de faire apparaître, par exemple, les lieux d’une vie quotidienne violemment perturbée par l’autoritarisme de l’épouse tyrannique et adultère de Sneijder. En glissant verticalement, la scénographie recrée l’étroitesse de la tragique cabine d’ascenseur. Ainsi se succèdent simplement des images fortes, construisant un implacable étau physique et mental.

“Le cas Sneijder” © Nathalie Hervieux
Le cas Sneijder © Nathalie Hervieux

À l’intérieur de ce cadre, Bezace s’entoure d’une distribution expérimentée et inventive dont émergent particulièrement Pierre Arditi (Paul Sneijder), Thierry Gibault (Yorgos Charisteas) et Philippe Morier-Genoud (Charles Wagner-Leblond). Souvent accompagné par une voix off restituant sa vie intime, Arditi donne du personnage principal une interprétation émouvante et pétrie d’ironie. Il craque quand le souvenir de sa fille l’envahit. Il s’emporte quand femme et fils l’exaspèrent. Il s’amuse quand il trompe son monde. C’est de l’art, du très grand art, débarrassé de tout narcissisme, bien loin des clichés télévisuels qui font parfois oublier l’incroyable talent de cet exceptionnel comédien de théâtre. Thierry Gibault, virtuose de l’improvisation, campe un entrepreneur avide et rusé, aux accents comiques irrésistibles. La fascination de ce petit patron pour les palindromes chiffrés est un moment délirant d’extravagance poétique. Quant à Philippe Morier-Genoud, acteur protéiforme, il crée un personnage baroque d’avocat à la gestuelle impressionnante, tour à tour pervers ou porteur d’une humanité charitable. À eux trois, ils font de ce spectacle un moment de théâtre abouti. Ils nous rappellent que les héros fatigués sont tout aussi estimables que les fanfarons bienveillants, empêtrés dans leur désir forcené de réussite sociale au point de se mentir constamment à eux-mêmes. 

Michel Dieuaide


Le Cas Sneijder, d’après le roman de Jean-Paul Dubois

Éditions de l’Olivier /Éditions Points

Adaptation et mise en scène : Didier Bezace

Avec : Pierre Arditi, Sylvie Debrun, Morgane Foucault, Thierry Gibault, Philippe Morier-Genoud et le chien Fox

Avec les voix de : Aurélien Gabrieli, Matthias Hejnar

Collaboration artistique et accessoires : Dyssia Loubatière

Dramaturgie : Laurent Caillon

Scénographie : Jean Haas et Didier Bezace

Lumière : Dominique Fortin

Son : Pierre Bodeux

Costumes : Cidalia da Costa, assistée d’Anne Yarmola

Maquillage et coiffure : Cécile Kretschmar

Éducateur animalier : Max Crochet, Fabrice Klein

Régie générale et régie lumière : Léo Thévenon

Régie plateau : Jeanne Putelat

Régie son : Pierre Bodeux

Machiniste / Accessoiriste : Amina Rezig

Habilleuse, coiffeuse : Liza Winzelle

Construction de décor : Atelier Devineau

Production : L’Entêtement Amoureux, Compagnie Didier Bezace

Coproduction : Théâtre de l’Atelier, Les Célestins – Théâtre de Lyon, La Coursive de La Rochelle, Groupe Michel Boucau, Théâtre de Versailles, Théâtre Sénart – Scène nationale, Châteauvallon – Scène nationale

Les Célestins – Théâtre de Lyon • 4, rue Charles-Dullin • 69002 Lyon

Réservations : billetterie@celestins-lyon.org / 04 72 77 40 00

Du 16 mai au 3 juin 2017 à 20 heures, du mardi au samedi et à 16 heures le dimanche

Durée : 1 h 50

Tarifs 12 € à 38 €

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