« le Corps furieux », de Jean‑Michel Rabeux, Théâtre Garonne à Toulouse

le Corps furieux © Denis Arlot

Le cri du corps

Par Nicolas Belaubre
Les Trois Coups

Le cri du corps, c’est celui qu’on pousse quand l’autre, celui du cœur, nous est resté en travers de la gorge. C’est aussi celui de ces misérables S.D.F. qu’on croise au détour d’une bouche d’aération, dans le réduit d’une cage d’escalier ou dans le sas transparent d’une banque. Combien de temps ont‑ils ravalé leurs peines, leurs états d’âme, leur dignité, avant de mugir ce son guttural, déchirant et inarticulé propre aux corps brisés, déchus et furieux ? Combien de temps Jean‑Michel Rabeux a‑t‑il mâché son amertume et son impuissance face à ce spectacle dramatique et quotidien avant d’inviter ces marginaux à s’incarner sur son plateau ? Avec « le Corps furieux », c’est à une campagne de réhabilitation par le mouvement, l’esthétique et surtout l’humour que se livre Jean‑Michel Rabeux.

Ils sont huit sur scène. Nus, vautrés sur des chaises rustiques, étalés les uns sur les autres. Les bras et les jambes s’emmêlent savamment pour nous présenter une composition évoquant en même temps le réalisme trivial des peintres flamands et les naufragés du Radeau de la méduse. Ils s’éveillent doucement et s’habillent en silence, ramassant des haillons épars sur la scène. C’est un premier pas ivre dans l’univers déstructuré d’une petite communauté de clochards. Les règles y sont clairement exposées. La folie est à l’affût, la communication une lutte âpre pour la survie. Les genres et les âges n’ont plus cours… Comprenne qui pourra ! Mais une chose est sûre : il n’y a pas de salut hors du groupe.

Cependant, chacun doit dans le même temps affirmer sa différence, son indispensable individualité. Et c’est ici que le casting fait sens. Huit comédiens d’horizons et origines diverses. Une gymnaste ouzbèke, un danseur italien, Georges l’ex‑sommelier, un vieux copain, des plasticiens, des musiciens… On parle anglais, italien, français, charabia… On se bat, on s’aime, et on exhume quelques standards de la variété française comme Claude François ou Dario Moreno. Mais, aussi, on récite Racine d’une voix de fausset. Le plateau devient alors le Caddie du S.D.F., où s’amoncellent ses trésors hétéroclites ramassés au fil de son vagabondage. Au premier abord, ces trésors nous rebutent. Ils sentent encore trop le vide-ordures. Mais, si on accepte de les voir sous un autre angle, de se laisser toucher et donc de se laisser souiller, on découvrira peut-être leur beauté qui ne demande qu’à se révéler.

De la même manière, le décor fleure bon la récup’ : un conteneur, un vieil ordinateur, des mannequins dénudés et de vieilles nippes fripées. L’espace scénique est par ailleurs délimité par un ruban de chantier blanc et rouge. Frontière entre deux mondes hermétiques, métaphore de la fracture sociale ou de l’aliénation, petite mise en abyme ? Difficile de trancher. On a malheureusement parfois l’impression que c’est en fait un avertissement au spectateur : attention, ceci n’est pas un produit fini mais une œuvre en chantier !

En effet, on met un moment à s’habituer au jeu parfois grossier et artificiel des comédiens. C’est un parti pris, je l’admets. Les personnages chantent faux, sont les caricatures d’eux-mêmes. Comme le sont souvent, c’est vrai, les poivrots des bancs publics. Néanmoins, parfois, comme dans les scènes d’accouchement, l’on aurait peut-être préféré retrouver la douleur au naturel, la fureur réaliste. Pas ces gémissements burlesques et exagérés qui, en revanche, servent avec justesse la magnifique scène de coloscopie.

Car la pièce flirte également avec la performance. Et c’est ici que Jean‑Michel Rabeux donne le meilleur de lui‑même. Il nous gratifie, par exemple, d’un final en apothéose. Sous une pluie artificielle, huit mannequins fraîchement barbouillés de peinture se délavent sous nos yeux, imperceptiblement. Malgré quelques effets comiques et quelques artifices un peu potaches à mon goût, le Corps furieux a néanmoins su conquérir un public peut-être parfois un peu complaisant. 

Nicolas Belaubre


le Corps furieux, de Jean‑Michel Rabeux

Cie Jean‑Michel‑Rabeux • 3, rue de Metz • 75010 Paris

01 42 46 12 88 | télécopie : 01 58 30 70 92

production@rabeux.fr

relationspubliques@rabeux.fr

Conception, mise en scène et scénographie : Jean‑Michel Rabeux

Avec : Elena Antsiferova, Corinne Cicolari, Georges Edmont, Juliette Flipo, Kate France, Marc Mérigot, Laurent Nennig, Franco Senica

Photos : © Denis Arlot

Coproduction : M.C.93, maison de la culture de la Seine-Saint-Denis, le Bateau-Feu, scène nationale de Dunkerque, la Rose des vents, scène nationale de Villeneuve‑d’Ascq, le Maillon-théâtre de Strasbourg

Théâtre Garonne • 1, avenue du Château‑d’Eau • 31000 Toulouse

Réservations : 05 62 48 54 77

Mercredi 25 et jeudi 26 février 2009 à 20 heures

Durée : 1 h 40

20 € | 16 € | 11 € | 9 €

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