« le Joueur d’échecs », de Stefan Zweig, la Comédie Saint‑Michel à Paris

le Joueur d’échecs © Michel Paret

Le grand maître Salzet

Par Vincent Morch
Les Trois Coups

C’est en 1996 qu’André Salzet, avec la complicité d’Yves Kerboul, adapte pour le théâtre la dernière nouvelle de Stefan Zweig, « le Joueur d’échecs » (publiée à titre posthume en 1943). Joué plus de mille fois, présent à sept reprises au Off d’Avignon, ce monologue a connu un succès qui ne s’est jamais démenti. Sa reprise à la Comédie Saint-Michel est une nouvelle occasion de se faire séduire par ses éminentes qualités.

L’éclair d’un briquet déchire la pénombre. Un homme assis, cigarette à la main, parle : « Sur le grand paquebot qui à minuit devait quitter New York à destination de Buenos Aires, régnait le va-et-vient habituel du dernier moment… ». Pendant plus d’une heure, par la magie de son talent de conteur, je ne quitterai pas ses lèvres une seconde.

Cela est dû, bien sûr, à la teneur du récit : l’étonnant défi lancé par le narrateur et quelques passagers à un champion du monde d’échecs inculte, Mirko Czentovic, et leur rencontre impromptue avec un homme mystérieux capable de lui résister. Ce dernier, « M. B », parce qu’il est autrichien comme le narrateur, lui expliquera quelles circonstances tragiques l’ont mené à développer de telles aptitudes. Écrite en pleine Seconde Guerre mondiale, au moment où rien ne semblait pouvoir arrêter les forces de l’Axe, cette nouvelle témoigne du désespoir de Zweig devant la défaite apparente des valeurs humanistes (il se suicidera quelques jours après l’avoir achevée).

La précision du style et la puissance des analyses psychologiques confèrent à ce texte ramassé une force dramatique peu commune, qui le prédispose à être adapté pour la scène. Le choix du monologue s’avère le plus pertinent pour en respecter la forme littéraire, mais a pour contrepartie d’exiger du comédien un sans-fautes. Toute la pièce repose sur ses épaules – et ce d’autant plus que la mise en scène d’Yves Kerboul est extrêmement sobre, limitée à quelques déplacements et à quelques jeux de lumière, toujours intelligents.

André Salzet est à la hauteur

Or, indéniablement, André Salzet est à la hauteur. Sa maîtrise du texte est parfaite, et il parvient, en modulant sa voix, en modifiant sa gestuelle, à donner corps de manière crédible aux divers personnages de la nouvelle. Le récit de « M. B » est un véritable morceau de bravoure : le désespoir causé par sa solitude absolue est palpable, sa lente progression vers la schizophrénie magnifiquement interprétée. Le moment où son esprit esseulé, obsédé par les parties d’échecs qu’il joue contre lui-même, commence à littéralement se déchirer entre les blancs et les noirs est un grand moment de théâtre.

Le Joueur d’échecs est la démonstration éclatante que, par-delà tous les subterfuges techniques, la valeur d’une pièce repose avant tout sur la qualité de son interprétation ou, pour le dire autrement, sur la qualité de l’humain. 

Vincent Morch

Lire aussi la critique de Cédric Enjalbert.


le Joueur d’échecs, de Stefan Zweig

Adaptation : André Salzet

Mise en scène : Yves Kerboul

Avec : André Salzet

Régie lumières : Ydir Acef, Stéphane Loirat

Photo : © Michel Paret

La Comédie Saint-Michel • 95, boulevard Saint-Michel • 75005 Paris

Réservations : 01 55 42 92 97

Du 8 janvier au 24 avril 2013, les mardi et mercredi à 20 heures

24 € | 18 €

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