« le Journal de Grosse Patate », de Dominique Richard, l’Alizé à Avignon

le Journal de Grosse Patate © Patrick Moll

Un petit bijou

Par Élise Noiraud
Les Trois Coups

« Grosse Patate ». Drôle de nom pour une héroïne ! Bien loin des fées ou des princesses parfaites auxquelles les petites filles aiment à s’identifier, ce personnage nous délivre toutes crues les pensées qu’elle jette chaque jour sur son journal intime. « Le Journal de Grosse Patate », c’est l’histoire des questions, des joies et des peines qui nous traversent quand on a dix ans. Cet âge où la vie est à la fois une grande aventure et une montagne de questions. Un spectacle émouvant, drôle, tendre et qu’il serait dommage de manquer si vous avez des enfants ou si vous avez envie de retrouver celui que vous avez été.

C’est à l’école qu’on l’a surnommée « Grosse Patate ». Cette petite fille curieuse, coquine, pétillante, mais loin d’être parfaite, a trouvé dans les gâteaux un refuge doux et enveloppant face à la vie qui ne fait pas toujours de cadeaux. Il est généralement difficile pour un comédien adulte d’entrer dans le corps d’un personnage d’enfant. Difficile d’éviter le cliché, les couettes ridicules et le mauvais goût. Pourtant, Bilbo, qui joue Grosse Patate, s’exécute avec un naturel surprenant. Et si on entre dans ce spectacle avec une telle délectation, c’est avant tout grâce à la justesse de son interprétation. La comédienne investit son corps et sa voix d’une façon limpide, sans jamais en faire trop. Elle a retrouvé les mimiques, les attitudes et les élans propres à l’enfance. La petite fille existe, le public y croit et voyage avec bonheur au fil du journal de celle-ci. En nous regardant bien en face, elle nous raconte les grands bonheurs de son quotidien, les doutes et les tempêtes aussi, la meilleure copine et l’amoureux secret, son amour pour le chocolat et sa terreur du régime. Elle plonge les enfants et replonge les adultes dans les épopées de la cour de récréation, lieu du jeu mais aussi de la cruauté, où, pour ne pas être exclu soi-même, on peut martyriser un plus petit que soi.

Mais tandis qu’elle nous livre ses expériences, « Grosse Patate » ne devient jamais donneuse de leçon, et c’est l’une des grandes qualités de ce spectacle. Elle nous invite à partager ses réflexions sur la différence, la beauté, la méchanceté, la générosité… sans imposer une quelconque vérité. Dominique Richard, l’auteur, a choisi de ne pas prendre les enfants pour des imbéciles, et la compagnie du Petit‑Bois fait honneur à son texte en ne tombant jamais dans la mièvrerie. On se contente, ici, de proposer un vrai retour en enfance, brut et sincère. L’enfance, non comme une période idyllique ou idéalisée, mais comme le moment où tout est essentiel, important. Le texte, d’une énergie éclatante, se glisse avec exactitude dans le langage d’une petite fille. C’est saisissant et euphorisant. Parfois, aussi, bouleversant.

La mise en scène de Jean‑Jacques Mateu a su trouver l’énergie que ce personnage demandait. Le choix de la musique de Pascal Comelade apparaît des plus judicieux, car ses compositions riches et enlevées, aux sonorités de boîte à musique, relèvent à la fois de l’enfance, de la poésie, de la joie de vivre et de la nostalgie. Ses mélodies ajoutent au grand esthétisme de l’ensemble. En effet, les pensées quotidiennes de « Grosse Patate » prennent vie sur le plateau telles une succession de tableaux efficaces, harmonieux. La mise en espace, claire et précise, exploite au mieux les nombreuses possibilités du décor pourtant simple (un lit coloré et deux paravents). Les belles lumières de Loïc Andraud et Philippe Ferreira mettent en valeur ses richesses, en se faisant tantôt douces, tantôt tranchées. Et une grande poésie émane des moments de nuit, où l’enfant rêve, veillée par un homme en noir (Jean‑Jacques Mateu), qui nous dévoile ses songes.

En définitive, l’amour pour la vie de « Grosse Patate » est sérieusement communicatif. Elle sait réveiller en nous des sensations enfouies, des odeurs, des souvenirs. Elle s’est mise à parler en moi à une petite fille de dix ans, qui n’est jamais loin derrière ma grande carcasse d’adulte. Avec exigence et tendresse, la compagnie du Petit-Bois a déposé sur la scène du théâtre l’Alizé un spectacle d’une qualité infinie et rare. On leur en est reconnaissant. 

Élise Noiraud


le Journal de Grosse Patate, de Dominique Richard

Cie du Petit-Bois • Théâtre de la Digue • 3, rue de la Digue • 31300 Toulouse

petitbois@cegetel.net

06 81 69 96 21

Mise en scène : Jean‑Jacques Mateu

Avec : Bilbo et Jean‑Jacques Comelade

Costumes : Joëlle Viala

Lumières : Loïc Andruad et Philippe Ferreira

Musiques : Pascal Comelade

Construction : Pierre Vasselot et Claude Gaillard

Son : Didier Baules

Photo : © Patrick Moll

L’Alizé • 15, rue du 48e-R.I. • 84000 Avignon

Réservations : 04 90 14 68 70

Du 10 juillet au 2 août 2008 (relâche le 27 juillet)

12 € | 8 € | 6 €

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